Le Farman 190
F.197 n°4 / 7265
F-ALEZ
Deux F.197 entrent au montage à Toussus-le-Noble au début de l'année 1931, l'un en janvier, l'autre début février. Il s'agit vraisemblablement de deux des appareils sanitaires répondant à une commande d'Etat qui n'aurait pas abouti car ces appareils semblent avoir été conservés par Farman (?). D'après les numéros de série, le second est probablement le F.197 n°5 F-ALFA. Le premier serait le F.197 n°4, un appareil que Farman et Gnome-Rhône convertissent en F.291 en l'équipant du nouveau moteur "Titan Major" GR 7 K. Cet appareil est d'origine équipé de phares au bord d'attaque de chaque aile et d'une grande manche d'aération qui améliore la circulation d'air de la cabine, tous indices d'un appareil colonial.
Le F.291 n°1 est donc développé au premier semestre 1931 pour la Société des Moteurs Gnome-Rhône à l'usage personnel de son président Paul-Louis Weiller. Baptisé "Pégase", il est réceptionné fin juin – début juillet 1931 devant Veritas par Salel ou Freton. Il obtient alors son CdN (n° 2027) le 28 août 1931. Il est enregistré (CdI n° 2942) avec l'immatriculation F-ALEZ. Comme les autres appareils acquis par la société Gnome-Rhône, il bénéficie d'une finition soignée : carénages de roues, équipement moderne, démarrage électrique, chauffage central, moquette épaisse, sellerie cuir, etc. Il est équipé de 2 réservoirs d'ailes de 275 litres chacun. Cet appareil possède une nouveauté développée par Gnome-Rhône : un démarreur éléctrique enclenché par un simple contact automobile; les batteries se rechargent en vol.
Il reçoit dans les registres le numéro de série 1, mais il semble qu'il partagea le rôle de prototype avec le n°2 F-ALER qui servit pour l'homologation et permit à Jacques de Sibour de réaliser dès le mois de juin son raid Paris - Pékin et de démontrer ainsi les performances de cette version qui restera néanmoins réservée à quelques initiés.
F.291 n°1 / 7265
F-ALEZ
Le F. 291 F-ALEZ à Toussus-le-Noble en 1931. De son origine, il a conservé la cellule d'un F.197 et son capot est prêt à recevoir un moteur Lorraine. Les phares présents sur le bord d'attaque de l'aile font supposer un ex-monomoteur colonial; ils seront supprimés rapidement. L'insigne de Gnome-Rhône est visible sur le capot, mais le numéro de série semble encore absent de la dérive. [Coll. Michel Barrière]
L'utilisation de cet appareil, vitrine des équipements Gnome-Rhône, par Paul-Louis Weiller est discrète et rare, mais les prestations de propagande aéronautique sont plus visibles.
Le 5 juin 1932, Paul-Louis Weiller prête son F.291 blanc à Jacques de Sibour pour amener Amelia Earhart au meeting de Saint Germain.
Le Farman participe également au rallye d'Auvergne en juillet 1932 (n° de course 43). En août, le chef-pilote Durmon de la CIDNA accompagné de l'ingénieur Pontrémoli et de MM. Boiron et Labedes de Gnome et Rhône l'utilise pour un voyage à Berlin. L'avion passe une visite en août, à 31 heures de vol seulement.
Le 18 juin 1933, l'avion participe au Concours d'élégance organisé par l'Aéro-Club de France à Orly. Il est à cette occasion piloté par Maryse Hilsz qui transporte Mme Armand Lotti, Melle Vigo, Nadine Picard et une de leurs amies. Le 12 août, nouvelle visite à ... 32 heures de vol. En d'autres termes, à l'exception du Concours d'Elegance, le F.291 serait resté inutilisé pendant un an.
Le F.291 F-ALEZ au Concours d'élégance d'Orly le 18 juin 1933.
De g. à dr. : Mme Armand Lotti, Mlle Vigo, Maryse Hilsz, Nadine Picard, X
[Coll Michel Barrrière]
Cette publicité des bougies B&G met en évidence la grande manche d'aération située sur le plafond de la cabine. [Coll Michel Barrrière]
Le F-ALEZ au cours de son voyage France - Yemen et retour. La seule différence extérieure visible est l'absence des garde-boues.
[Coll Michel Barrière]
Le F.291 F-ALEZ en 1932. Son fuselage à hublots et son capot caractéristique des moteurs Lorraine mettent en évidence le F.197 qu'il fut à l'origine. [© Michel Barrière]
¤ "A la recherche de la Reine de Saba"
Compte tenu de son utilisation quasi-nulle, il n'est pas étonnant qu'au printemps 1934, à la demande d'Édouard Corniglion-Molinier (alors capitaine de réserve), Paul-Louis Weiller mette son F-ALEZ à la disposition d'André Malraux pour un voyage vers le Yémen destiné à retrouver les ruines de la capitale de la Reine de Saba. Weiller leur a en outre détaché pour ce vol le mécanicien Maillard. Initialement, le pilotage de l'appareil doit être assuré par Challe et Corniglion-Molinier; au dernier moment, Challe déclare forfait.
Les luxueuses finitions de l'appareil sont sacrifiées pour ce difficile voyage d'environ 25.000km. La cabine reçoit un réservoir supplémentaire alimentant le moteur par une pompe. Un compas de navigation et un dérivomètre y sont également installés. Les élégants garde-boue des roues sont supprimés.
L'expédition est financée par le journal "l'Intransigeant" qui reçoit l'exclusivité des articles de Corniglion-Molinier et Malraux qui seront publiés du 3 au 13 mai 1934.
Le 23 février, le F-ALEZ est amené à Orly pour effectuer la compensation des compas avant son départ, mais le Ministère de l'Air leur impose l'obtention d'un nouveau certificat de navigabilité par suite de l'importance des modifications effectuées. Corniglion-Molinier peut régler rapidement ce problème avant de s'envoler avec Malraux et Maillard, faisant leur première escale à Naples (23/02). Ils passent à Gabès (26/02), Benghazi et Le Caire (27/02). Ils descendent ensuite sur Khartoum (02/03), Port Soudan (03/03) avant de se poser le 4 mars à Djibouti où ils sont chaleureusement accueillis par l'escadrille de la Côte Française des Somalis (Capitaine Esparre, Lieutenant Gambert).
C'est le 8 mars qu'ils s'envolent à la recherche des ruines de la ville de la reine de Saba; des tenues arabes ont été placées dans l'avion en cas d'un atterrissage forcé. Pour Malraux, ce vol est un succès - très controversé par ailleurs - concrétisé par un message immédiatement envoyé au ministère. Au retour, par crainte du manque d'essence, Corniglion se pose à Obock avant de rejoindre le terrain de Djibouti.
Accompagnés d'Esparre et de Gambert, Malraux, Corniglion et Maillard se rendent le 10 mars à Addis-Abeba, invités par le Négus Haile Sélassié, dernier représentant de la dynastie de la Reine de Saba.
Leur retour a lieu un peu plus tard par Massaoua (12/03), Port Soudan, Le Caire (13/03). Sur ce trajet, le vent de face se transforme un vent de sable montant à 1500m. Puis, Tripoli où Balbo les accueille chaleureusement, Gabès, Tunis (14/03), Alger (du 17 au 19/03) atteint à travers une tornade de neige et de glace qui les oblige à se poser à Bône. A partir de Fez (19/03), le vent devient favorable, poussant l'avion à 300 km/h vers Alicante (20/03), Barcelone, Lyon (21/03), qu'ils quittent le 22 mars à 9h10 pour rejoindre Orly à 10h50, avant de se rendre dans l'après-midi au Bourget.
A la suite de ce voyage, Corniglion-Molinier utilise assez régulièrement cet appareil pour des voyages personnels. Fin mars 1934, il se rend à Lyon et Marseille, puis Cannes où il se pose le 4 avril. Il en repart le 23 pour Rome, revenant à Toussus début mai. Il l'utilise encore en avril 1935 pour un voyage à Chateauroux ou encore en juillet pour un aller-retour Toussus – Saint Raphael.
¤ "Joe IV"
En 1936, le F-ALEZ est vendu à Maryse Hilsz qui le baptise "Joe IV", le transfert de propriété étant enregistré le 13 novembre. Le F.291 F-ALEZ reçoit alors un nouveau moteur GR 7 Kd, tournant plus vite, qui lui donne une plus grande autonomie et prend la dénomination F.291/1. Son changement de type est enregistré le 3 mars 1937 et son CdN est renouvelé.
¤ Société Algérienne des Transports Tropicaux (SATT).
Le 12 octobre 1938, l'appareil passe une visite à Billancourt, peut-être dans la perspective de sa cession. En 1939, il est en effet acquis par la Société Algérienne des Transports Tropicaux (SATT). Le transfert est enregistré le 21 juillet 1939.
"Le 21 septembre 1939, à la demande de l’armée, le pilote Jumeau assure le service postal Alger-Ouargla-Fort Flatters avec le F.291 F-ALEZ de la SATT. Il emporte comme passagers Georges Estienne et le colonel Azan commandant supérieur de Front de l’Est-Saharien. Le retour a lieu le lendemain, avec une étape pour la nuit à Ouargla.
La ligne sera reprise le 20 avril 1940 par l’armée de l’Air. *
Son sort ultérieur est inconnu.
* Source : Pierre Jarrige
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