Crezan
F190
Compagnie
Crezan
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F.192 n°15 / 7225

F-ALAR


¤ La girouette de Louis Constantin


            A la mi-décembre 1930, Farman termine dans ses ateliers de Toussus-le-Noble le montage d'un F.192 équipé de la girouette Constantin. Ce dispositif aéromécanique de stabilisation automatique, amélioré depuis 1923 par son inventeur Louis Constantin, propagandiste infatigable et efficace de ses projets, est déjà bien connu. Le principe en avait été expérimenté avec succès dès 1910 sur un Wright par l'ingénieur général Étévé – alors capitaine – , qui poursuit toujours en 1930 des travaux d'études sur ces dispositifs dans le cadre du S.T.I.Aé.


            Le système Constantin est constitué de deux girouettes et de leurs transmissions. Selon les présentations de l'époque, "les girouettes sont assez bien équilibrées pour indiquer à chaque instant la position de l'avion par rapport à sa trajectoire et assez puissantes pour obliger les gouvernes à obéir à ces indications, évitant l'emploi d'un servomoteur. La première girouette à surfaces directrices horizontales commande le gouvernail de profondeur et assure la constance de l'angle d'attaque, interdisant donc au pilote de prendre l'angle de "perte de vitesse". La deuxième girouette, à surfaces directrices verticales, commande les ailerons et prévient tout glissement latéral. Toutes les fois que le pilote, poussant sur le palonnier, veut effectuer un virage, elle incline automatiquement l'avion jusqu'à ce que le virage soit correct, sans glissement. Lorsque le pilote redresse le palonnier, la girouette redresse l'avion."


            Le dispositif est bien connu de Farman qui, en 1929, en a équipé le F.71 F-AGFY ; l'ingénieur-pilote André Desaleux en a ensuite effectué méthodiquement des essais. Il a été présenté une première fois au ministre Laurent-Eynac en mai 1930; puis, le 16 octobre, Lucien Coupet en a effectué une démonstration plus approfondie au ministre accompagné de M. Moch, rapporteur du budget de l'air, et de M. Couhé, secrétaire général du ministère de l'Air, venus à Toussus pour se rendre compte des résultats obtenus. A cette occasion, il les a emmenés à tour de rôle pour un long vol de démonstration.


            Desaleux effectue les premiers vols de démonstration du F.192 n°15 le 21 décembre à Orly, à l'occasion du premier Congrès international de la Sécurité aérienne. Pour démontrer l'intérêt de la girouette, l'appareilest équipé d'un poste de pilotage auxiliaire sans palonnier. Il est réceptionné devant Veritas dans la première quinzaine de janvier 1931, puis, le 27 janvier 1931, enregistré avec les CdN 1980 et CdI 2684 et l'immatriculation F-ALAR au nom du Commandant Verdy et de Jean Couitéas de Faucamberge, administrateurs de la société des Brevets Constantin.

L'inventeur Louis Constantin devant son invention montée sur le F.192 F-ALAR [www.bnf.gallica.fr]

La commande de profondeur de la girouette Constantin implantée sous l'aile droite du F.192 F-ALAR lors de la préparation de l'avion en 1930. La photo est précoce : l'appareil n'a pas encore reçu sa décoration. [Coll Michel Barrière]


            La société des Brevets d’Aviation Constantin est créée en avril 1931. Elle est dotée d'un capital de 2.000.000 de francs dont 50% en parts de fondateur sont attribuées à M. Constantin. Parmi les administrateurs figurent également Jean Couitéas de Faucamberge, Marcel Chausson, Etienne Micard, Raymond Vivier et surtout, Marcel Gianoli, ingénieur chez Couzinet qui utilisera les girouettes Constantin, et lui-même inventeur d'un dispositif de stabilisation automatique qui sera ultérieurement essayé sur le F.192 n°15. Début mai, le Farman est présenté aux Services Techniques à Villacoublay. Le 13 mai, le lieutenant de vaisseau Hurel, ingénieur en chef de la CAMS et M. Gilles, ingénieur en chef de l'Aéronavale (Air Union) viennent à Toussus-le-Noble pour évaluer le dispositif. Des essais seront ensuite menés à Marignane, suivis également par Air Orient.

            Au cours des mois qui suivent, Desaleux continue de mener les essais et d'effectuer des démonstrations en vol du dispositif.


¤ L'intérêt italien


            Le dimanche 17 janvier 1932 sera particulièrement fructueux. Ce jour-là, M. Allègre, administrateur délégué d'Air Orient, et M. Balazuc, directeur technique, effectuent un vol à bord du Farman, avant d'engager des discussions en vue d'expérimenter des girouettes sur un CAMS de la compagnie.

            Ce même jour, une délégation italienne vient également à Toussus évaluer le dispositif. Elle comprend le commandeur Florio, créateur de la "Targa Florio", le général Plecio, attaché de l'air et as de guerre, accompagnés du capitaine Romano, pilote et ingénieur, et du général Liotta, inspecteur de l'aéronautique italienne. Ce jour-là, la météo n'est pas fameuse : rafales violentes et plafond bas; la démonstration du Farman stabilisé, toutes commandes lâchées, n'en est que plus réussie. Suite à leur compte-rendu, Constantin est invité à Rome pour présenter le F.192 équipé de son dispositif de stabilisation au général Balbo.

Le F.192 F-ALAR équipé de la girouette Constantin en 1931. [© Michel Barrière]

A droite, le F.192 F-ALAR lors d'un passage à l'Aéro-Club de Normandie. Le pilote en est probablement Horlaville [Coll Michel Barrière]


            Le 26 février à 9h05, le F-ALAR s'envole pour Rome piloté par Desaleux avec à bord Mme Desaleux, Constantin et Chausson, administrateur-délégué de la Société des Brevets d'Aviation Constantin. Après un déjeuner à Bron, l'avion parvient dans l'après-midi à Marignane. Repartis le lendemain, Desaleux préfère faire demi-tour à Brignoles devant la rapide dégradation des conditions météorologiques. Il n'en repart que 5 jours plus tard ; un fort vent de face, et une autonomie limitée à 5 heures de vol l'amènent à se poser à Cannes pour ravitailler avant de rejoindre Pise dans l'après-midi. Le lendemain, 4 mars, ils arrivent à Rome à 13h00, M. Constantin et le commandeur Florio étant reçus à 15h00 par le Général Balbo et le général Valle.

            Les démonstrations débutent à Centocelle le 5 mars en présence du Général Valle qui vole longuement sur le Farman. Le 7 mars, le Général Balbo vient sur le terrain et assiste à des vols de divers officiers, dont le général Ferrari, directeur des Études et Expériences aéronautiques et son adjoint, le colonel Bertozzi. Pendant leur séjour, Constantin et Desaleux ont l'opportunité de voler de Centocelle à Montecelio sur le Caproni aménagé avec le poste de pilote sans palonnier inventé par le commandant de Bernardi. Le 8 mars, ils sont reçus à déjeuner au ministère de l'Air par Balbo et plusieurs hauts responsables du ministère.

            Le 9 mars, ils prennent le chemin du retour avec un passager supplémentaire, M. Rivière et volent de conserve pendant une centaine de kilomètres avec le Fiat du commandant de la Giraudière, attaché de l'air à Rome. A Pise, le mauvais temps est de nouveau présent. Le Farman repart le lendemain à 10h30 (heure française) avec Mme Desaleux et M. Constantin, pour se poser à Marseille à 13h30. Il rejoint ensuite à Avignon, y débarquant M. Constantin et embarquant M et Mme Chausson, avant de rejoindre Toussus-le Noble.

            A partir de juin, le F-ALAR est utilisé par Horlaville pour faire des démonstrations et baptêmes de l'air à Rouen pour l'Aéro-Club de Normandie dont Couitéas de Faucamberge est un membre actif.


            En août et septembre, il est expérimenté par le S.T.I.Aé. qui établit un rapport comportant des appréciations favorables au dispositif, rapport dont Constantin ne manque pas de diffuser largement des extraits : "L'avion ne perd pas de hauteur à 1.500, ni à 3.100 mètres, au cours des évolutions précédentes, sauf au cours de la descente commandée.

Au cours d'autres essais, exécutés suivant le programme précédent, par temps plus agité, l'avion s'est également très bien comporté, et, à aucun moment le pilote ni les passagers n'ont éprouvé la moindre inquiétude ou ressenti, du fait des oscillations de l'avion une impression désagréable.

Ce dernier fait a été confirmé au cours d'un voyage Villacoublay-Marignane et retour exécuté avec les appareils de stabilisation embrayés constamment.

… D'une façon générale, le pilotage automatique obtenu est très semblable à celui d'un pilote. L'amortissement des oscillations est correct…"

Le F.192 F-ALAR équipé du stabilisateur I.V.A. et de la girouette Constantin en 1933. Le système I.V.A. est couvert par un grand carénage situé sous l'aile droite.

[© Michel Barrière]

Le F.192 F-ALAR équipé de la girouette Constantin et, sous l'aile droite, du stabilisateur I.V.A. essayé en 1933. [Coll Geneviève Sandra-Deixtreit]


Le Chicago Tribune avec equel Benoit Oblin entretenait apparemment des liens étroits publia égulièrement des publicités pour Air Tourisme visant la clientèle nord-américaine


            En janvier 1933, le F.192 est équipé du stabilisateur I.V.A. de Gianoli. Toujours piloté par Desaleux, il effectue pendant plusieurs mois des essais et démonstrations de ce dispositif. En juin, le S.T.Aé mène de nouveau à Villacoublay une campagne d'essais de la girouette Constantin avec le F.192 . Ces essais sont ensuite arrêtés, l'avion étant mis en vente.


            Malgré ces nombreux essais, le S.T.I.Aé. ne prend aucune décision et, activés par Constantin, la presse et les parlementaires se déchainent alors sur le refus du progrès et des solutions françaises manifesté par "la Technique". Mais les ingénieurs et notamment l'ingénieur général Étévé, inventeur initial du concept devenu inspecteur général de l'aéronautique, sont loin d'être convaincus par ce dispositif lourd, aérodynamiquement coûteux et sans pilotage du cap, tout en reconnaissant que son faible coût peut en ouvrir l'utilisation à l'aviation de tourisme.

            Depuis 1931, le S.T.I.Aé. évalue les systèmes concurrents tant français – stabilisateur automatique I.V.A. de Gianoli monté sur Potez 29 (août 1935), Mazade-Aveline - qu'étrangers – Askania, Sperry sur un DC.2, Siemens sur un Junkers W34 (novembre 1934) et surtout le britannique Jaeger-Smith qui l'emportera finalement. En août 1935, le STAe expérimente un Leo 20 équipé de la girouette Constantin. En juillet 1936, le ministère de l'air achètera son brevet à Constantin pour le mettre à la disposition des pilotes de tourisme intéressés.


            En décembre 1933, le F-ALAR est enregistré au nom de Benoit Oblin (La Garenne-Colombes), garagiste à Paris, franc-maçon et homme politique, membre du comité de direction du parti radical.


¤ Air Tourisme


            Comme plusieurs de ses confrères garagistes, Benoit Oblin décide de créer une société de transport commercial pour laquelle il embauche un pilote professionnel, Henri Verdier. La société est officiellement créée le 1° janvier 1934 avec un capital de 100.000 F, dans lesquels le "Farman F.190, 230 cv, moteur Salmson" figure en apport pour un montant de 64.000 F. Les apports d'Oblin, incluant le Farman et un Potez 36 (F-ALGB) représentent 90% du capital.


            De février à avril 1934, Verdier s'entraine à Toussus sur le F.192. En mars, l'appareil est officiellement enregistré à Air Tourisme dont l'une des initiatives sera la création d'une ligne saisonnière Paris – Le Mans - Angers - Nantes - La Baule, en partenariat avec Caudron. Appuyée par une publicité active du Chicago Tribune, la ligne fonctionnera quotidiennement en août-septembre 1934; la direction de la compagnie est assurée par M. Deville-Rocque. 


            Jeudi 25 octobre 1934 à 10h30 au Bourget. Le F-ALAR affrété par le Chicago Tribune pour réaliser un reportage en Afrique du Nord et en Méditerranée est baptisé "Chicago Tribune" par Miss Lisbeth de Morini. Après la cérémonie et le vin d'honneur, Verdier décolle avec le directeur des services touristiques du Chicago Tribune à Paris, M. André Herbert et son secrétaire, René Garnier. Leur voyage dure 5 semaines par Barcelone, Tanger, Rabat, Casablanca, Saffi, Marrakech, Fez, Meknès, Oran. Le 1° novembre, il est à Alger-Maison Blanche avant de continuer vers Biskra, Constantine, Bône, Philippeville et Tunis, puis la côte italienne via Palerme, Naples, Rome, Gênes. Il rejoint ensuite Nice, puis Paris par la vallée du Rhône.

            Cette opération réussie de communication touristique vaudra à Benoit Oblin de recevoir la légion d'honneur au titre du Ministère des Colonies.


            En 1935 et 1936, le Farman est utilisé par Air Tourisme comme avion-taxi pour des voyages en Europe : Manchester, Karlsbad, Tchécoslovaquie, etc. Lorsque la guerre civile éclate en Espagne, Benoit Oblin favorable à la cause de la République espagnole, mais partisan d'une non-intervention générale, refuse de vendre ses avions qu'il estime d'ailleurs inadaptés à une situation de conflit armé. Il utilise néanmoins sa société pour le financement et le transfert d'avions de chasse et de bombardement vers l'Espagne. Idéaliste, il refusera l'importante commission, d'environ 2.000.000 de francs, associée à ces négociations. Oblin aurait en outre soutenu son pilote Verdier et le mécanicien d'Air Tourisme, Marcel Vincent, qui menèrent des interventions au profit de la république Espagnole, peut-être en utilisant le Farman ou un Caudron Simoun acquis en août 1936.


            Le dimanche 10 janvier 1937, le F-ALAR venant de Toulouse est accidenté en se posant au Bourget à la nuit tombée avec 5 personnes à bord. Il n'y a aucun blessé, mais l'avion a 75% de dégâts. En février, il est enregistré comme détruit. La compagnie continuera ses services de taxis aériens avec un Simoun et un Goeland.

Les Avions Farman

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