Crezan
F190
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F.190 n°11 / 7117

F-AIYM


            Fils d'un riche industriel nancéen, André Bailly, âgé en 1928 de 23 ans, possède son brevet de pilote depuis 3 ans et compte 2000 heures de vol. En 1926, il a acheté son premier appareil, un Caudron C.127 (F-AGGL). Il accomplit son service militaire dans l'aviation, se liant à Istres avec l'aviateur Reginensi, avant de servir au 21° régiment d'aviation de Nancy. Libéré en juillet 1928, il achète le Morane-Saulnier MS 147 n°5, F-AIVF.


            A l'été 1928, Bailly est l'un des premiers à passer commande pour 180.000 Francs d'un F.190 équipé d'un moteur Gnome-Rhone GR 5 Ba, seul moteur en cours de qualification à cette époque.

            En août 1928, il veut réaliser un vol direct Paris-Casablanca avec un monoplan de grand tourisme en compagnie d'un appareil similaire piloté par son compatriote nancéen Christian Mœnch. Ce projet reste sans suite, mais, le 18 novembre 1928, Bailly décolle à 11h00 de Villacoublay et se pose à 16h30 à Bordeaux avec son Morane MS 147 F-AIVF flambant neuf, peint en blanc. Le 19, il fait escale à Barcelone puis rejoint Alicante. Après une étape Alicante - Malaga le 20, il atteint Casablanca le 21. Il en repart le 23 pour Alger dont il revient le 4 décembre. Le 7 décembre, contraint d'atterrir à Fez-el-Bali, il capote. Les avaries sont légères et, après réparation, Bailly reprend son voyage. Le 29 décembre, il quitte Rabat pour Alicante qu'il atteint à 16h00. Après être passé à Perpignan, il se pose à Marseille le 11 janvier.          

Bailly devant son MS147 F-AIVF durant son premier voyage en Afrique du Nord en 1928. Il y reviendra plusieurs fois les années suivantes. [Les Ailes]

L'ENIGME DU NUMERO DE SERIE DU F-AIYM

Le F-AIYM n'a jamais porté sur son gouvernail

le numéro de série 11 figurant dans le registre F.

Remis en 1931 au standard de série, ce sera le numéro 7, numéro par ailleurs cohérent avec son n/c. [Coll Michel Barrière]


            Enregistré initialement à Air Service, son F.190 est livré à Bailly en février dans une configuration de raid. "Bailly et Reginensi avaient fait installer des réservoirs supplémentaires pour doubler la longueur de leurs étapes" [Le Petit Parisien] et disposer ainsi d'une autonomie de 2200 à 2500 km. Sur le côté gauche n'est présent que le dernier hublot de la cabine, configuration liée à la présence de grands réservoirs en cabine à la place du passager avant gauche.

 

            Plusieurs articles de presse attribuent alors à l'appareil une capacité de 2000 litres de carburant, soit près de 40 h d'autonomie.

            Cette hypothèse n'est pas improbable : elle correspondrait à un projet inspiré, à l'instar du F.190 suisse (cf n°22), par les F.191 capables eux de l'emport de 3000 litres de carburant. Elle expliquerait également l'aspect aveugle de la cabine que la configuration ultèrieure de l'apapreil n'explique pas.

            

 

            Cet aménagement spécifique bloque la délivrance du Certificat de Navigabilité de l'appareil. Le 22 septembre 1928, le Secrétaire d'État à l'Air Laurent-Eynac a en effet pris la décision d'ajourner les grands raids. Jusqu'au 15 février, il accepte des dérogations ; mais, le 7 mars, après les échecs successifs du Bréguet "Dragon d'Annam" de Costes et du Bernard 197 de Le Brix, il renouvelle son interdiction et le Farman de Bailly en est une victime immédiate.

  

                        Convoqué par Laurent-Eynac qui souhaite le voir ajourner son vol, Bailly lui tient tête, arguant du caractère privé de son projet de voyage. Mais, si Bailly est indépendant de toute source de subvention, étatique ou privée, il ne peut échapper à la réglementation, et notamment à la nécessité du CdN.

             Pour débloquer la situation, les grands réservoirs sont démontés et remplacés par un réservoir de 160 litres, sensiblement le poids du fret correspondant à deux passagers. Ce réservoir était relié à une pompe A.M. mue par le moteur ou à la main. La cabine, équipée d'un lit de repos, est chargée d'une caisse d'outillage et de rechanges.

 

            Pour le voyage, les équipements du moteur comprennent une hélice métallique Levasseur type 151, des magnétos Scintilla, un carburateur Claudel, un manomètre de pression d'huile Amyot et un démarreur à cartouche Farman. Les instruments de navigation comprennent 2 compas Vion, un dérivomètre type STAé de marque Aéra et d'un contrôleur de vol Badin-Pioneer. Le train d'atterrissage est équipé de roues Dhainaut, de pneus Dunlop et d'amortisseurs et freins à huile Messier.


            Après ce réaménagement, le F.190 de Bailly apparait dans le registre F sous le numéro de série 11 à la date du 15 mars 1929. Cet enregistrement du F-AIYM comme onzième F.190 de série nous intrigue, son numéro de production (7117) et son immatriculation devant le placerait  plus tôt dans la série. S'agit-il d'un renumérotation due à la spécificité de son aménagement initial : plusieurs photographies ou témoignages montrent que le F-AIYM aurait porté sur son gouvernail le numéro de série 7 pendant sa carrière à Air Service en configuration standard.         

Le F-AIYM à Toussus-le-Noble en février ou mars 1929. L'avion est entièrement argent. L'immatriculation n'est pas encore règlementairement soulignée; elle le sera pour le vol Paris- Saigon. [Coll Michel Barrière]

De gauche à droite : Marsot, Bailly et Reginensi. [Les Ailes]

Le F-AIYM de Bailly au départ du Bourget. Le numéro de série ne figure pas sur le gouvernail [© Michel Barrière]

Le F.190 n°7 en cours de préparation à Toussus-le-Noble

[courtesy Air Britain]


            Le 26 mars 1929 à 5h40, l'équipage composé d'André Bailly, de Jean Reginensi, adjudant-chef au 34° régiment d'aviation, en congé de 3 mois, et du mécanicien Georges Marsot, également un ancien du 34° régiment d'aviation, décolle du Bourget. Il doit en principe rallier d'abord le terrain du Tubé à Istres. Il préfère en fait traverser les Alpes pour se poser à Padoue (1300 km, 26/03). Il passe ensuite par Belgrade (800 km, 27/03), Constantinople (800 km, 28/03) où, arrivés à 15h35, les aviateurs doivent attendre les autorisations nécessaires au survol de la Turquie.


            Partis le 29 à 10h45, ils font ensuite escale à Alep à 17h00 (1000 km, 29/03), Bagdad (800 km, 30/03). Une tempête de sable les force à atterrir dans le désert avant d'atteindre Bassorah, puis Bender-Abbas (1500 km, 31/03). Après un vol de nuit, ils se posent au matin du 1° avril à Karachi (1250 km), puis rejoignent le soir Allahabad (1500 km, 01/04).

            Une modification notable sera nécessaire aux Indes : la suppression du réchauffage de l'arrivée d'air au carburateur par l'échappement, avec le risque d'une entrée du sable dans le carburateur.


            Repartis d'Allahabad le 3 avril, ils font escale à Akyab (1250 km) après un ravitaillement rapide à Calcutta. Le 4, ils sont à 15h00 à Bangkok (1250 km). Repartis à 7h00 du matin, ils atteignent enfin le terrain militaire de Saigon - Bien Hoa le 5 avril à 12h55 au terme d'une étape de 750 km.


            Pour marquer le succès de ce voyage de 12.200 km réalisé en 10 jours, l'avion reçoit le nom de "Paris-Saïgon" peint sur le capot accompagné du côté gauche de l'insigne de la  2éme escadrille d'Indochine. Son séjour à Saïgon ne dure qu’une semaine. Bien qu'ayant d'abord envisagé une prolongation touristique du voyage, voire un retour par la Sibérie, l'équipage décide finalement le retour par la route utilisée à l'aller.

            De nombreux Indochinois en profitent pour leur remettre des lettres pour la métropole, conduisant l'administration des Postes à autoriser un transport officiel de 50 kg de courrier, poids rapidement atteint, pour une valeur d'affranchissement de 90.000 F.

Le F-AIYM "Paris - Saïgon" au retour d'Indochine. Au dessus du nom a été peint l'insigne au moustique photographe de la 2° escadille d'Indochine au Rallye de Lyon le 22 juin 1930 (n° de course 24).[© Michel Barrière]

Arrivée du F.190 à Saigon le 5 avril 1929 vue par Bailly [L'Intransigeant]


            Le 11 avril, le F-AIYM est baptisé au champagne "Paris-Saigon", nom aussitôt peint par un peintre local et pendant tout l'après-midi - priorité aux dames - l'équipage donne des baptêmes de l'air à 300 Saigonnaises.

            Le 12 avril, le Farman quitte à 9h30 l'aérodrome civil de Saïgon - Tan Son Nhut pour Bangkok, atteint à 15h00 (750 km, 12/04). Le lendemain, ayant décollé à 7h30, il se pose à Akyab (1220 km, 13/04), puis après une escale technique à Calcutta rejoint Allahabad (1250 km, 14/04). Il s'arrête ensuite à Karachi (1440 km, 15/04), Bender-Abbas (1100 km, 16/04), Bassorah, Bagdad (1500 km, 17/04), Alep, Constantinople (1460 km, 18/04), Belgrade, Udine (1460 km, 19/04).


            Pour leur dernière étape de 1050 km, ils font une escale à Lyon à 12h10, retardant leur départ à 15h15, pour respecter leur prévision d'arrivée  à 18h00 au Bourget. A 17h40, une escorte d'honneur de 4 F.190 pilotés par Coupet, Lallouette, Risser et Robin décolle du Bourget à leur rencontre, mais le mauvais temps ne permet pas le rendez-vous. Le F-AIYM, ralenti par un fort vent contraire, ne se pose qu'à 18h15 au terme d'un voyage de 23.150 km en 163 heures de vol.

            Le 22, pendant que l'équipage est reçu par Laurent-Eynac, l'avion est convoyé par Coupet à Toussus où il est révisé. Le 27 avril, Bailly rejoint son port d'attache, Nancy, où il est accueilli en triomphe. Il revient le lundi 29 sur Paris pour des réceptions officielles. Le 5 mai, Bailly, Reginensi et Marsot participent avec leur F.190 à la fête de l'U.P.C.F. (Union des Pilotes Civils de France). Le 4 août 1929, Bailly participe bien sûr avec son F.190 au meeting aérien qui se déroule sur le terrain de Nancy-Essey, après avoir ouvert le meeting par une démonstration acrobatique aux commandes de son MS 147 blanc F-AIVF.


            En septembre 1929, lors de sa visite, le Farman a 110 h de vol; il est équipé d'une hélice Chauvière 5120. Le "Paris-Saïgon" participe ensuite à diverses manifestations, comme le meeting de Vincennes le 19 mai 1929 ou les meetings de Lyon et d'Auvergne en juin et juillet 1930.

Le F-AIYM de retour au Bourget. [Coll Michel Barrière]

Réception à l'Aéro-Club de France.

De g. à dr. : le comte de La Vaulx, Bailly (devant P-L Weiller), Mme Bailly, Reginensi, Laurent-Eynac [Coll Michel Barrière]



            En 1929, pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par les F.190, Farman ressent la nécessité de différencier les services passagers, fret et courrier offerts sur les lignes régulières des services analogues ou des prestations particulières (baptêmes de l'air, meetings, etc.) offerts occasionnellement.

            Dans ce but, le 31 juillet 1929, Farman crée une filiale dénommée Air Service. La nouvelle compagnie n'est pas opérationnelle immédiatement. Après avoir recherché un dirigeant, Farman embauche, à l'essai pour une période de 3 mois avec un salaire de 1800 F par mois, son futur directeur, Jean Cazier. Le 3 avril, la presse annonce le lancement d'Air Service dont l'appareil de référence est le F.190, "avion qui a fait ses preuves … et qui est particulièrement indiqué pour le grand tourisme aérien, la publicité, la photographie."     

Le F-AIYM, reconstruit fin 1931, vole pour Air Service sous le n/s 7 !!

Une photo prise à Toussus montre qu'il porte l'insigne d'Air Service sur le flanc gauche du fuselage

[© Michel Barrière]

F.190 n°(7) / 7117

F-AIYM


            En octobre 1930, à 263 h de vol, le F-AIYM est enregistré à la Société Air Service. En septembre 1931, il est reconstruit au standard de série, la contenance de ses réservoirs d'ailes étant ramenée à 300 litres et aménagé en limousine transformable en sanitaire. Portant la livrée d'Air Service, soit la livrée Farman/SGTA, bleu ciel et argent avec drapeau de la compagnie sur le flanc gauche, il vole d'abord peu, mais reprend rapidement un rythme "normal" de 60 heures par an, affichant un total de 281 heures de vol en septembre 31, 340 en septembre 1932, 406 en septembre 1933.


            Le F-AIYM participe à la fête d'Orly des 14 et 15 mai 1932 lors de laquelle plusieurs F.190 d'Air Service assurent les baptêmes de l'air.


            Le 12 mars 1934, le navire école Danmark fait escale à Cherbourg pour évacuer un blessé, le cadet Erling Andersen. Le F-AIYM quitte Le Bourget le mardi 13 à 15h40 pour se poser à Querqueville à 17h50. Le 14 à 6h00, le blessé quitte l'hôpital en ambulance accompagné d'un infirmier, M. Auguste Lepelletier, et d'un interprète, M. Hans Hansen. Le blessé installé dans une couchette et ses deux accompagnateurs embarquent dans le Farman qui décolle à 6h20 pour Copenhague.


          Le 29 décembre 1936, le F-AIYM passe une visite Veritas, à 421 h de vol, sans doute préludant à sa cession enregistrée ce même mois à Lucien Maniglier. En janvier 1937, il est vendu à la SFTA et part pour l'Espagne.


            On peut alors lire dans la presse toulousaine : "Le mercredi 3 février, vers 17h15, le Farman 190 n°7 F-AIYM piloté par M. Raymond Delarbre, atterrissait, par suite d'une panne sèche, dans une prairie de Mayné," près de Lagraulet. Il s'agit de son vol de convoyage vers l'Espagne, type de mission que Delarbre avait déjà accompli. Le lendemain, après avoir fait le plein d'essence et confié pour vérification des papiers de bord à la gendarmerie, Delarbre, accompagné d'un mécanicien venu de Toulouse, y amène son appareil.

            Ayant rejoint l'Espagne, le F-AIYM disparait dans la guerre civile ; son sort exact est inconnu.

Les Avions Farman

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F.19O n°12 F-AIZR