Compagnies aériennes
Compagnie Franco-Bilbaïne de Transports Aéronautiques
En ce début 1921, pour remplacer Masseboeuf, Gindner fait appel en urgence à un nouveau pilote, Paul Morvan qui vient de quitter l'aviation maritime et cherche un emploi. L'activité de la Franco-Bilbaïne est suspendue en janvier suite aux accidents de Gosselin et de Masseboeuf. La reprise du service a lieu le 8 février après l'arrivée et la formation de Morvan par Pessel, au moins pour la poste aérienne. A tour de rôle, les deux pilotes assurent alors la liaison régulière Bayonne - Bilbao.
Le 4 mars, la presse annonce que deux ou trois hydravions doivent partir le lendemain à 11 heures, vers Santander pour effectuer un vol d'essai sur la ligne de la Cantabrique. Il semble que ce vol n'ait finalement lieu que le 9, les deux hydravions pilotés par Morvan et Pessel se posant à Santander vers midi devant un nombreux public au terme d'un vol de 25 minutes.
Le 11 mars, un Tellier tombe en panne et est obligé de se poser en mer en face du mont Urgull dans la baie de Saint Sébastien. Il est remorqué dans le port par un pêcheur.
Le 23 mars, le Tellier F-CFBU, donné comme n°22 (portant encore un matricule militaire "10"?), parti de Bilbao à 16h00 se pose sur panne de moteur à 16h30 à la plage de Bequio près de Bermeo. Réparé, il repart à 17h00 pour Bayonne.
En avril, le service Bayonne – Bilbao est assuré tous les jours, sauf le dimanche. Le 8 avril, le "Tellier 22" assurant le courrier de Bilbao à Bayonne est obligé de se poser en mer au large d'Ondarroa; il est remorqué dans le port par la vedette "Jésus". Le 11, il est récupéré par un garde-côte français et ramené à Bayonne.
Le mardi 19 avril, est ouverte l'extension du service passagers à Santander les mardi, jeudi et samedi. Morvan reste à Bilbao pour assurer la liaison Bilbao - Santander. Muñoz propose également d'établir un service à la demande à partir de Santander avec les ports voisins. Le premier vol de ce type est prévu dès la fin avril, avec pour destination Castro-Urdiales
Pour permettre aux voyageurs venant de Paris par le train arrivant à 7h00, le départ a lieu à 9h00 de Bayonne, l'arrivée à Bilbao étant à 10h30, avec un arrêt d'une heure, et à Santander à 12h00. Au retour, l'avion part de Santander à 14h45, arrivant à Bilbao à 15h15 pour une escale d'une demi-heure et arrivant à Bayonne à 17h15, ce qui permet aux voyageurs pour Paris de prendre le train de 17h58.
Selon Morvan, c'est peu après cette ouverture de ligne que Pessel quitte la compagnie (il reprendra le métier de marin pêcheur et disparaitra en mer le 14 décembre 1927 avec sa barque baptisée "Aviateur"). Pour compenser ce départ, Gindner embauche Joseph Adam, qui quittant la compagnie après que son vol d'apprentissage de la ligne avec Morvan ait faillit mal se terminer à Bermeo suite à une perte d'hélice. Morvan assurera donc seul les vols Bayonne - Santander dans les mois qui suivent. Curieusement, il est difficile de retrouver dans les accidents cités par les journaux ceux qu'il décrit en détail - en les localisant mais sans les dater - dans ses souvenirs.
Le 21 avril vers 10h30, un hydravion cité comme "C.F.B. 1.524" (ce n°1524 pourrait indiquer un Levy-Le Pen HB.2) amerrit dans la baie de la Concha à Saint Sébastien. Le pilote et le mécanicien s'emploient alors à réparer les avaries du moteur et de la coque et à 11h00 l'appareil décolle difficilement vers l'ouest. Peu après, il chute dans l'eau à 4 miles de la côte sur panne moteur, l'équipage se maintenant à la voilure de l'appareil à moitié submergé, et qui coule lentement. Le vapeur "Bernardo-Chiqui" de Fontarabie qui pêchait à proximité recueille l'équipage constitué du pilote, de José Muñoz, d'un passager et du mécanicien. L'hydravion est remorqué au port vers 17h00, par cinq barques de pêches motorisées de Fontarabie.
Le 26 avril au matin, ce n'est qu'après avoir effectué des réparations sur le moteur que l'hydravion qui assure le service postal avec Bayonne part de Bilbao pour Santander.
A partir du 14 mai, la compagnie assure un service supplémentaire le samedi soir partant de Bilbao à 15h30 pour Bayonne et retour le lundi matin avec départ à 9h30 de Bayonne. Il s'agit de permettre aux espagnols de venir passer le dimanche en France.
Les horaires changent légèrement, le départ de Bayonne ayant lieu à 9h30. Les tarifs sur Bayonne – Bilbao sont à 100F pour l'aller simple, 150 F pour l'aller retour. Pour Bilbao – Santander, ils sont respectivement de 50 et 100 F et, pour Bayonne – Santander, de 150 et 250F. Les réductions aux fonctionnaires et hommes d'affaires sont maintenues.
Le Levy - Le Pen HB2 F-CFBA dans le port de Saint Sébastien.
[CC BY-NC-ND-3.0-ES 2013 / KUTXATEKA / FONDO FOTOCAR / MARTIN RICARDO]
En juin 1921, le gouvernement engage avec les compagnies la négociation des conventions fixant les primes accordées aux compagnies aériennes. Il semble que le service de la navigation aérienne souhaite alors ne plus faire bénéficier de ce dispositif les Farman F.40, considérés comme dépassés pour une utilisation de transport commercial.
Fin juin, la Compagnie Franco-Bilbaïne, sous la dénomination plus locale de "Compañia de Hidroaviones del Cantábrico", propose d'étendre son service de Santander jusqu'à Vigo avec escales à Gijón, Avilès et La Corogne sous réserve du versement d'une subvention. La liaison Santander - Vigo serait réalisée en une heure et demie. Début juillet, les acteurs économiques de Vigo, très intéressés, confirment qu'ils participeraient à cette subvention en vue d'une ouverture rapide de ce service.
Pour assurer le lancement commercial de l'extension de la ligne en Galicie, Gindner engage le pilote Jacques Malleterre et la parachutiste Andrée Blanche. A Malleterre qui effectue des vols acrobatiques sur un Morane-Saulnier parasol, il adjoint un hydravion piloté par Morvan pour une série de démonstrations en août à Santander, Gijón, Santona, Avilès et Bilbao.
Le 13 juillet, un hydravion de la Franco-Bilbaïne est obligé de se poser sur panne dans la baie de Saint Sébastien.
Le 23 juillet, un appareil de la compagnie amerrit brutalement à Santander, endommageant sa voilure sans dommage pour les occupants.
Le 4 août le premier des meetings organisé par la Compagnie a lieu à Santander à la plage del Sardinero devant une foule estimée à 20.000 personnes. La famille royale suit également le meeting qui se déroule au-dessus de la mer et du grand casino depuis la terrasse du palais de la Magdalena. Après que Malleterre, "El Leon de Bayona", ait effectué un brillant vol acrobatique avec son Morane, Andrée Blanche, excellente nageuse, a prévu d'effectuer un saut en mer depuis l'hydravion de Morvan vers 600 – 700 m d'altitude.
Dès la sortie du port, il s'avère que la houle est forte et Morvan doit s'y reprendre à quatre reprises avant de réussir à décoller. En maillot de bain, Andrée Blanche effectue alors son saut avec un parachute Ors. Après le plongeon à l'arrivée, elle veut défaire la cheville de bois qui ferme sa ceinture de cuir reliée au parachute, mais le cuir gonflé par l'eau s'est serré et la parachutiste est entrainée par sa voile à 25 m/s vers le large sans arriver à se détacher; son supplice dure près d'une demi-heure au bout de laquelle elle s'évanouit pour se réveiller dans un canot automobile qui, alerté par Morvan, a réussi à la rejoindre. Elle restera couchée pendant deux jours avant de reprendre les meetings et les sauts en mer.
Malgré son absence, le meeting est repris le lendemain.
En 1922, Andrée Blanche écrira pour le journal "La Presse" trois articles sur ses sauts en mer lors des meetings réalisés en Espagne pour la publicité de la Franco-Bilbaïne.
Les festivités se développent surtout à Gijón, où la compagnie voudrait implanter un port d'attache. Le meeting d'aviation est prévu pour se dérouler sur 3 jours, du lundi 8 au mercredi 10 août, sur la plage de San Lorenzo. Les hydravions doivent faire une présentation à leur arrivée le 8, le 9 étant consacré aux exhibitions d'Andrée Blanche et de Malleterre et le 10 aux baptêmes de l'air.
Le lundi 8 août, 5000 personnes attendent l'arrivée des hydravions prévue pour 18h00 sur la plage de san Lorenzo. Le vent est particulièrement fort, mais il faut attendre 21h00 pour apprendre par un télégramme parti de Santander à 18h00 que 4 hydravions, partis à 16h45 de Santander ont dû faire demi-tour à la hauteur de Ribadesella devant le mauvais temps, se posant à 18h00 à Santander. Leur départ a été reporté au 9 au matin, la présentation devant avoir lieu à 18h00. Les pilotes de ces appareils ne sont malheureusement pas précisés.
Le 9, deux appareils partis à 10h30 de Santander, l'un d'eux transportant deux habitants de Gijón (Dionisio Velasco, Enrique Cangas), se présentent aau-dessus de la plage à 11h50 avant d'amerrir puis d'être amarrés dans le port. Une heure plus tard arrive un troisième appareil, piloté par Morvan et transportant Andrée Blanche. De 16h00 à 18h00, le public espère l'arrivée de Malleterre qui doit se poser avec son Morane sur le terrain de Las Mestas, mais le mauvais temps ne lui permet pas de venir. A 18h00, alors que les appareils se préparent à décoller pour des vols au-dessus de la plage, une pluie persistante se met à tomber et le ciel bouché empêche toute exhibition.
Le 10, à 16h00, les pilotes montent dans leurs appareils respectifs et Andrée Blanche s'installe dans l'un d'eux. L'appareil sort du port pour faire aussitôt demi-tour et revient s'ammarer, expliquant que le vent est trop fort pour permettre les vols. Le public commence alors à se disperser, exprimant son écoeurement devant ces reports successifs. A 17h30, le bruit court que le vent ayant faibli les vols vont pouvoir commencer. Le second hydravion sort du port pour faire la même manoeuvre que précédemment. Marcel Gindner doit alors expliquer que les avions peuvent voler par un tel temps lorsque c'est nécessaire, mais pas pour un festival que le moindre incident pourrait ternir d'autant que, s'agissant de l'extension d'une ligne aérienne, la Compagnie veut convaincre le public de la parfaite sécurité des vols. Le vol d'un hydravion au-dessus de la ville préviendra les habitants du début du festival dès que le temps le permettra.
Le 12, les officiels espèrent que les vols pourront se faire. Selon Morvan, il y aurait eu des vols, mais Andrée Blanche, marquée par son accident à Santander, n'aurait pas sauté. Ce n'est que le dimanche 14 que le festival d'aviation aurait eu vraiment lieu, annoncé par le vol d'un hydravion sur la ville à 13h30 avec le saut en parachute d'Andrée Blanche, cette fois sans incident. Malleterre est présent, mais venu à bord d'un hydravion sans son Morane.
Le 15, l'un des hydravions rentre à Santander, l'autre étant tiré sur la plage pour une réparation de la coque, probablement suite à des chocs répétés sur une roche pendant son amarrage les jours précédents.
Dans les jours qui suivent, après des présentations réussies à Santona, puis Avilès, une dernière prestation a lieu à Bilbao.
Le 24 août Gindner et le Colonel Saconney, directeur du service de la navigation aérienne, signent la convention fixant les primes accordées par le gouvernement à la Compagnie Franco-Bilbaïne pour les services effectués du 1° juin au 31 décembre 1921. Elle marque une évolution profonde du système de prime utilisé en 1919 et 1920, puisque le loi de finances de juillet 1920 autorise la signature de contrats de 10 ans entre l'Etat et les compagnies aériennes.
Selon cette convention, les primes sont versées pour la ligne Bayonne – Bilbao – Santander avec des distances de référence de 148 km pour Bayonne – Bilbao et 72 km pour Bilbao – Santander; Le service de référence comprend 6 voyages AR par semaine, soit 184 voyages du 1° juin au 31 décembre 1921. Des voyages supplémentaires peuvent certes être effectués, mais le total des primes est plafonné à 400.000 F.
Pour la prime d'amortissement, les valeurs des appareils et moteurs concernés sont: Georges Levy (100.000 F) et Renault 300 hp (44.400 F) ; Tellier (61.100 F) et Hispano-Suiza 200 hp (22.000 F) ; F40H (30.000 F) et Renault 130 HP (29.970 F). La société bénéficie de plusieurs dérogations spéciales du fait notamment de la prise en considération des conditions atmosphériques diffidiles régnant sur le trajet Bayonne – Santander pendant les mois d'hiver..
Concernant la prime kilométrique, les montants sont pour les Georges Levy de 5,650 F (fixe) et de 0,835 F (prime d'essence) ; pour les Tellier de 3,002 F (fixe) et de 0,656 F (prime d'essence) ; pour les Farman de 2,231 (fixe) et de 0,45 F (prime d'essence). Ces primes d'essence, actualisées mensuellement, sont données pour juin.
Pour toucher ces primes, la société doit posséder un minimum de 5 pilotes, 1 mécanicien par 300 hp de puissance moteur employée et 14 avions. Le paiement est effectué mensuellement à Bayonne sur présentation des justificatifs des voyages.
Fin août, Gosselin, remis de ses blessures, reprend son activité dans la Compagnie.
Pour le 1er semestre 1921, la compagnie a touché 108.000 F de subvention pour un montant de 7.400 F de recettes générées par le trafic. Le nombre de km parcourus a été de 21.886 en 150 liaisons. La société a transporté 97 passagers payants contre 192 passagers non payants, ainsi que 57 kg de colis. Selon l'Année Aéronautique de 1922, elle déclare 4 pilotes : Malleterre, Gosselin, Morvan et Adam et 11 avions. Selon Morvan, Adam n'aurait été présent que brièvement et Malleterre n'est jamais cité comme un pilote de la ligne.
En tout état de cause, elle ne respecte pas les conditions de la convention de réception des primes, raison probable pour lesquelles celles-ci ne sont pas versées, ne permettant pas à la compagnie de poursuivre son exploitation.
La compagnie effectue encore les vols en octobre et novembre, mais le 30 novembre, Gindner convoque son personnel pour leur indiquer l'arrêt de l'exploitation. Après qu'il ait tenté sans succès de négocier une reprise par Latécoère, la Compagnie Franco-Bilbaïne est mise en liquidation. La SNETA reprendra une partie des hydravions pour son réseau du Congo, embauchant également quelques pilotes et mécaniciens.
L'avis du Général Hirschauer dans son rapport au Sénat sur l'activité aéronautique française sera sans appel :
"Bayonne - Santander : ligne sans intérêt, supprimée en 1922 ... Dans la formule actuelle [...], la subvention de l'Etat n'est pas exclusivement fonction du rendement commercial.... Il faut porter le plus grand soin au choix des concessionnaires et […] il est redoutable à bien des points de vue de confier l'exploitation d'une ligne à une Administration peu rigoureuse ou à une direction peu habile.
Deux lignes déjà, Bordeaux Montpellier et Bayonne - Santander sont mortes d'avoir été mal administrées..."
Remerciements :
. Lucien Morareau pour son aide dans l'identification des pilotes de l'Aviation Maritime
Sources :
. Presse française et espagnole
. Rapports du Sénat et journaux officiels de 1919 à 1922
. Thierry Le Roy : Les Bretons et l'Aéronautique des origines à 1939
. Paul Morvan : de l'Aviation Maritime à Air France (1916-1957), ARDHAN (2013)
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