Crezan
Crezan
Compagnie

Compagnies aériennes

Liste des Compagnies

CCNA, Compañía Colombiana de Navegación Aérea


            En mai 1911, un aéronaute colombien, Domingo Valencia, séduit par le plus lourd que l'air, apprend le pilotage à Santiago du Chili. Il y rencontre des pilotes de Blériot et leur suggère de créer une école d'aviation en Colombie. Dès la fin du mois, un appareil est amené à Bogota. Piloté par José Cicerón Castillo, il tente immédiatement un premier vol qui échoue sur problèmes moteur; des essais en juin ne sont pas plus concluants : incapable de décoller, le pilote abandonne finalement l'appareil sur place. Ses propositions d'effectuer une nouvelle tentative avec un autre appareil, sous réserve de financement préalable par la ville de Bogota, n'ont évidemment aucune suite. Ce n'est qu'en janvier 1913 que le pilote canadien George Schmitt effectue les premiers vols d'un avion en Colombie : le 15 janvier à Medellin et le 26 janvier à Barranquilla.


            Le 14 juillet 1916, un jeune mécanicien colombien, Carlos Eduardo Padilla, effectue le premier vol d'un monoplan biplace de type Morane qu'il a construit avec le soutien de l'armée. Ce succès restera sans suite : constatant l'évolutions rapide de l'aéronautique européenne, l'armée préfère attendre et acheter des Caudron en France. Carlos Eduardo Padilla et un ami, Mario Clopatofski, proposent alors la création d'un club aéronautique : le Club Colombien d'Aviation voit le jour le 16 juillet 1916.


            En 1918, le Club d'Aviation propose au pilote américain William Wilson, venu pour étudier les possibilités locales, la création d'une école d'aviation. mais Wilson est rappelé pour rejoindre les forces armées en août 1918, peu avant l'ouverture de l'école.


            Le vendredi 18 juin 1919, l'aventurier américain William Henry Knox Martin effectue avec son Curtiss Jenny JN4D3 le premier transport aérien de courrier en Colombie. Il est accompagné dans ce vol de Baranquilla à Puerto Colombia par l'entrepreneur colombien Mario Santodomingo chargé d'un sac de 60 lettres. Un timbre surchargé de la mention "1er Servicio Postal Aereo 6-18-19" marque le début officiel des services aériens en Colombie.


            En février, les premiers vols commerciaux réalisés en Europe sur Paris - Londres et Paris - Bruxelles rencontrent un écho international. Un jeune entrepreneur colombien de 31 ans, Guillermo Echavarria Misas, convainc son père, Alejandro, des possibilités locales pour l'amélioration des transports du pays.

            Le 16 septembre 1919, ils réunissent à Medellin un groupe d'entrepreneurs de la province d'Antioquia. Le choix de l'appareil est fait : dans leur dossier, un catalogue Farman. Convaincus de l'intérêt du projet, ces hommes décident la création de la Compañía Colombiana de Navegación Aérea" (CCNA).


            Dès le 26 septembre, les statuts de la nouvelle société sont arrêtés. le capital fixé à 500.000 pesos est divisé en 1000 actions réparties entre Alejandro Echavarría & fils (200), Vásquez, Correa & Co (200), R. Echavarria & Co (200), L. Mejía & Co (80), Pedro Vásquez U (80), Julian Vásquez U. (70), Gonzalo Mejía (60), Martin Rodriguez (30), Ernesto Arango (30), Moreno & fils (20), Pedro Nel Ospina, V (20), Gustavo Unibe Escobar (10). Guillermo Echavarria est nommé gérant de la société; Gonzalo Mejía, Samuel Moreno, Pedro Vásquez, Luis Bernardo Mejía en sont nommés administrateurs.


            Infatigable promoteur de l'amélioration des transports colombiens, Gonzalo Mejía a d'abord préconisé l'emploi d'hydroglisseurs pour le transport des passagers et du fret sur la rivière Magdalena. Les services d'alors étaient peu satisfaisants.

            Malgré la forte opposition de la concurrence, Mejía a obtenu un contrat du gouvernement le 23 janvier 1912 et développé un hydroglisseur baptisé Colombia. Son premier voyage, piloté par Mejía, a eu lieu triomphalement en mars 1916. Le 19 juin 1916, Mejía a créé la Compagnie Nationale d'Hydroglisseurs qui fusionnera en 1919 avec la CCNA.


            La CCNA prévoit d'abord d'établir un service de transport de passagers et de fret sur deux lignes : Medellin - Bogotá, liaison d'une heure et demie, et Medellin - Cartagena - Baranquilla qui seraient reliées en 5 heures. Medellin servirait d'escale intermédiaire. Elle prévoit ensuite d'étendre son activité en Colombie et dans les pays voisins.


            Des aérodromes équipés de hangars devront être aménagé dans les principales villes, avec des terrains de ravitaillement sur les lignes tous les 100 km environ. Les billets seront les moins chers possible. Des appareils seront acquis pour l'entrainement des pilotes; un atelier construit pour l'entretien des avions et la fabrication de pièces.


            Le type d'avion retenu pour les lignes est donc le Farman "Goliath", transportant 14 passagers; un appareil est immédiatement commandé par câble à Farman pour effectuer les premiers essais.


            La CCNA prépare en outre sa candidature pour le service de poste aérienne qui vient d'être mis en adjudication par le Ministre de l'Intérieur sur trois lignes intérieures : de Bogotá à Barranquilla avec arrêts à Manizalos, Medellin et Cartagena; de Bogotá à Pasto avec arrêts à Manizalos, Cali et Popayan, et de Bogotá à Cucuta avec arrêts à Tunja et Bucaramanga. L'adjudication doit avoir lieu le 20 novembre à l'administration générale des Postes de Bogotá.


            Sans perdre de temps, elle engage l'étude des itinéraires et la recherche de terrains d'atterrissage. Sont retenus l'implantation de terrains à Calamar et Magangué, ainsi qu'une escale à Manizales. Certaines villes, comme Ibagué, envisagent de créer elles-mêmes des terrains pour attirer les avions de la nouvelle compagnie.

Jacques Jourdanet et René Bazin

Lignes aériennes intérieures mises en adjudication en septembre 1919. [L'Aéronautique]

Principales villes colombiennes effectivement desservies par la CCNA.

            Le 14 octobre, suite à sa négociation avec Farman pour l'envoi d'appareils et d'une équipe de pilotes et de mécaniciens, Guillermo Echavarria modifie sa commande pour recevoir d'abord "un avion différent du modèle adopté, mais propre aux reconnaissances et explorations".

            Farman qui a accepté dès le mois d'août de fournir 2 Goliath à Cuba et doit produire des appareils pour ses propres Lignes Farman et les Grands Express Aériens a en effet proposé de fournir rapidement des F.40, immédiatement disponibles. La négociation s'est donc conclue par un contrat provisoire couvrant l'acquisition de 4 Farman F.40 triplaces (l'exploitation ne fait cependant apparaître le montage que de 3 F.40) équipés d'un moteur Renault 130 cv leur donnant une vitesse de 110 km/h et d'un F.60 Goliath. L'équipe sélectionnée par Lucien Rougerie, directeur de l'aérodrome Farman à Toussus, est constituée du chef-pilote Jacques Jourdanet, ancien de l'AR 50, embauché chez Farman depuis quelques mois assisté de René Bazin, ancien de la Br 210 démobilisé en septembre 1919 après une année passée dans l'aviation postale. Les deux pilotes sont accompagnés du mécanicien Georges Goupil pour les moteurs et du menuisier Eugène Georges pour les cellules et les hélices. Le départ de France de l'équipe retenue et des premiers avions destinés à la compagnie est annoncé pour décembre.

            La ligne définitivement retenue pour amorcer l'exploitation est : Cartagena - Baranquilla - Calamar - Magangué - Medellin - Girardot - Manizales - Bogotá. Le premier vol est prévu pour mars 1920, les tarifs devant en être rapidement publiés.

            

            Le 3 décembre 1919, le président Marco Fidel Suárez signe le document donnant à la CCNA les droits pour le transport aérien de passagers et de courrier sur le territoire colombien. La concurrence est cependant au travail : le 5 décembre, Ernestos Cortizzos avec l'appui de Junkers et de capitaux allemands crée la Sociedad Colombo Alemana de Transporte Aéreo (SCADTA).


            Le 6 décembre, l'équipe Farman embarque au Havre pour New York sur le paquebot La Fayette. Le mauvais temps retarde l'arrivée à New York qui n'a lieu que le 18 décembre ; l'équipe y séjourne une semaine avant de reprendre le cargo mixte Athènes assurant le transport des bananes, via la Jamaïque et Panama.

            Le 20 décembre, probablement pour ne pas décevoir les attentes du public, les administrateurs de la CCNA informent la presse qu'estimant prématuré le transport de passagers entre Baranquilla et Bogotá, ils ont demandé à Farman de suspendre l'envoi d'appareils type Goliath, et l'envoi immédiat de petits hydravions.


            Le 5 janvier 1920, l'équipe Farman débarque à Puerto Colombia, à l'embouchure de la Magdalena et à 15 km de Barranquilla. Jourdanet se rend immédiatement à Medellin par le fleuve Magdalena pour discuter du contrat de travail définitif des pilotes et mécaniciens. Il visite ensuite l'intérieur du pays, rejoignant Bogotá à dos de mulet, pour examiner les terrains retenus et en rechercher de nouveaux, propices à l'exploitation d'une ligne régulière.


            Pendant ce temps, Bazin fait aménager les terrains de Cartagena et Baranquilla. A Cartagena, base initiale de la future exploitation, un terrain de 500.000 m² permettant la création d'un aérodrome et la construction d'un hangar capable d'abriter les 28 m d'envergure du Goliath a été acquis auprès d'une société de développement d'Antioquia.


            Le premier F.40 arrive en caisse début février. Sans attendre la construction du hangar, Bazin, Georges et Goupil en lancent le montage à l'extérieur par 40° à l'ombre. Le gouvernail porte apparemment les couleurs colombiennes.

            Le 14 février, Bazin effectue les premiers vols d'essai de l'appareil. Le lendemain, dimanche 15, le hangar et l'avion sont inaugurés. Le F.40 est baptisé Cartagena par l'archevêque Pedro Adán Brioschi en présence du maire de Cartagena et des autorités locales ; la marraine de l'avion est la reine du carnaval, Tulia Martínez Martelo. Un vol inaugural d'une demi-heure permet l'emport des premiers passagers : le maire, la reine du carnaval, Guillermo Echavarria Misas. Le journal local "El Porvenir" a imprimé une édition spéciale de petite dimension qui est lancée depuis l'avion. Puis commencent les vols de démonstration et baptêmes de l'air.


            Le dimanche 22 février 1920, René Bazin, accompagné par Guillermo Echavarria Misas qui convoie le courrier, effectue la première liaison postale entre Cartagena et Barranquilla. Pour ce vol, la CCNA a reçu le droit d'émettre ses propres timbres. Pour ce faire, elle utilise des vignettes publicitaires Curtiss surchargées de la mention "Compañià Colombiana de Navegacion Aerea – Porte Aéreo : 0,10$".


            Les vols de loisir - baptêmes de l'air, promenades avec survol de la ville et des environs - enthousiasment la population de Cartagena et de Baranquilla et constituent une part significative de l'activité initiale de la compagnie dans ces deux villes. Des personnalités ne manquent pas l'occasion : le 3 mars, le général Benjamin Herrera, chef du part libéral colombien et futur candidat à la Présidence de la République en 1922, fait son premier vol.

  

Les premiers timbres émis par la CCNA sont une série de 8 vignettes Curtiss surchargées du nom de la compagnie et dotées d'une valeur de 10 centavos.


            Quelques jours après débute l'exploitation commerciale de la liaison Cartagena – Barranquilla. Les premiers passagers payants, Eduardo de la Espriella et le père Julio Mario Santodomingo, sont transportés de Baranquilla à Cartagena, l'avion revenant avec d'autres passagers. Ces liaisons se poursuivent ensuite à un rythme quasi quotidien ; elles sont assurées par le Cartagena.

            La compagnie demande ensuite à Bazin d'ouvrir la ligne Baranquilla – Santa Marta. Ce trajet s'effectue alors en deux jours en utilisant successivement le bateau à travers rivières et marais, puis le train. Pour vérifier la valeur du terrain retenu, Bazin envoie à Santa Marta Eugène Georges et un aide-mécanicien nommé Henri Tassot, sans doute embauché dans la colonie française. Leur avis étant positif, René Bazin accompagné de Georges Goupil décolle le 17 mars de Baranquilla sur le Cartagena transportant un sac de courrier.

            Le voyage est dificille : les vents alizés très forts à cette période de l'année soufflent en tempête et provoquent de fortes turbulences. Après un passage particulièrement perturbé par le voisinage de la Sierra Nevada de Santa Marta, Bazin prend la décision de se poser un instant sur un terrain côtier repéré par Goupil près de Cienaga, à environ 25 km de Santa Marta. Le terrain est excellent, mais un tronc pourri sortant de terre brise une pale de l'hélice. A Santa Marta, c'est la déception : la foule qui attend l'avion a été prévenue par un observateur équipé de fortes jumelles d'abord de l'arrivée de l'avion, puis de son demi-tour au moment même où la musique militaire entonnait la Marseillaise. Bazin et Goupil devront attendre 12 jours l'arrivée d'une hélice de rechange avant de finir le voyage. Ils ne reviendront à Barranquilla que le 29 mars.


            Le 16 avril 1920, Jourdanet rejoint l'exploitation et effectue son premier vol commercial sur la ligne Cartagena – Barranquilla. Il continue les jours suivants, effectuant également des vols de loisir.

            Le 28 avril au matin, Jourdanet arrive à Baranquilla pour reconnaitre le terrain et établir les hangars destinés aux F.40 qui doivent prochainement être équipés en hydravions. L'après-midi, il effectue sans problème trois vols sur le Cartagena, avec comme passagers des membres d'une famille d'Antioqua de passage. Au quatrième vol, il décolle avec trois passagers, madame Pepa Restrepo de Vásquez et son fils Jaime. Alors que l'appareil vient d'atteindre une altitude de 100 mètres, les spectateurs le voient descendre rapidement, le pilote s'efforçant de le controler, avant de s'écraser. Sortis des débris, les occupants sont immédiatement emmenés en automobile à l'Hôpital Américain. Si les blessures de la passagère ne présentent aucun caractère de gravité, celles de son fils sont plus sérieuses : fracture de l'os frontal, un bras et deux côtes cassées et forte contusion en bas du dos. Jourdanet, heurté par le moteur, est décédé. Il est enterré au cimetière de Baranquilla où une stèle sera érigée sur sa tombe. Bazin, qui attend Jourdanet à Cartagena, rejoint Baranquilla avec son avion le lendemain. Son enquête l'amène à conclure que le vol s'est terminé avec un vent très instable. Une rafale subite a incliné l'avion ; en le redressant, Jourdanet a touché le sol de l'aile gauche, provoquant une violente mise en virage, brisant la cellule et arrachant le moteur. 


            Cet accident ralentit considérablement l'exploitation : les critiques pleuvent sur le caractère obsolète des Farman. Elles sont alimentées par la compagnie concurrente, la SCADTA créée en septembre 1919, qui, liée à Junkers, utilise des F.13, appareils métalliques modernes, Le nombre de passagers et le volume de courrier transportés en sont très réduits dans les semaines qui suivent.


            La CCNA décide d'effectuer immédiatement le montage du second Farman. Elle demande à Farman la désignation d'un nouveau chef-pilote et, sur suggestion de Bazin, l'envoi des éléments permettant la conversion des F.40 en hydravions.

            En fait, dès qu'il a pris connaissance de l'envionnement local, Bazin a regretté le choix des Farman, car des troncs, branches d'arbres et débris divers flottent en permanence sur les cours d'eau. A son avis, des Bréguet 14 à structure métallique et flotteurs en duralumin auraient été mieux adaptés aux conditions locales. Mais il était alors trop tard pour des remises en cause.

            Dès la fin mai, des flotteurs arrivent à Cartagena par le paquebot Haïti de la CGT. Ce sont "de longs fuseaux, de section quadrangulaire, en contreplaqué de 3 mm sur une armature en bois léger, collé", ayant "tout juste la résisitance nécessaire pour tenir le temps d'une compétition à Deauville ou à Monaco". Pour les consolider, Bazin fait renforcer une partie de leur fond par une plaque de laiton d'un millimètre d'épaisseur.   


            Le 2 juin, bien qu'il n'ait pas de formation particulière dans le pilotage des hydravions, Bazin mène à bien les essais de décollage et d'atterrissage du second F.40 dans la baie de Cartagena. Le 5 juin, cet appareil, baptisé Santa Marta, effectue un vol postal de Barranquilla à Santa Marta. Il est piloté par Bazin avec comme passager Guillermo Echavarria Misas qui convoie de nouveau le courrier pour ce vol inaugural.

            Le 24 juin 1920, le nouveau pilote envoyé par Farman débarque du paquebot Pérou de la CGT, accompagné de son épouse et d'un mécanicien, Varcin. Il se nomme Félix Fratoni. Né en Algérie, mécanicien et garagiste de formation, il a commencé à voler avant la guerre et possède le brevet de l'Aero-Club de France n°1732 délivré le 19 novembre 1914. Destiné en principe à reprendre la responsabilité de chef pilote initialement dévolue à Jourdanet, Fratoni renonce à ce poste, préférant s'appuyer sur l'expérience de Bazin et sa connaissance de la situation locale.

            A la mi-juin, peut-être par ce même paquebot, est arrivé à Puerto Colombia l'un des premiers Goliath de série (probablement le n°7). Son envoi a été retardé par la difficulté de trouver un navire capable de transporter ses immenses caisses de transport. Pour amener à Baranquilla la caisse contenant le fuselage, la compagnie a dû, entre autres choses, acquérir un tracteur adéquat.


Juillet


            Début juillet, Bazin effectue une nouvelle étude des routes aériennes pour préparer la mise en service du Goliath, mais les événements vont imposer leur loi.

            Le 20 Juillet, Fratoni évolue à Cartagena avec le Santa Marta. Selon son passager sur le vol Medellin - Cartagena, il n'était pas satisfait du fonctionnement de son moteur au départ, mais le mécanicien n'aurait trouvé aucune anomalie et le vol s'est déroulé sans incident. Arrivé à Cartagena, il effectue une brillante démonstration évoluant au-dessus de la baie et du paquebot Haïti en escale ce jour-là. Il a à son bord deux passagers, Arturo Gerlein et Miguel Araujo, directeur du journal local El Porvenir, lorqu'il s'écrase brutalement. Les spectateurs et le mécanicien de Fratoni, se précipitent, mais Arturo Gerlein est décédé et Fratoni meurt peu après. Araujo est gravement blessé. Ce jour là, Bazin, poursuivant le travail engagé par Jourdanet, est en tournée de prospection à l'intérieur du pays. L'enquête menée par Bazin à son retour montre qu'un aide-mécanicien aurait oublié de faire le plein.

  

Le Goliath baptisé "Baranquilla" fin septembre 1920


            Ce second accident est une catastrophe pour la compagnie, car la SCADTA a beaucoup progressé et sa concurrence va devenir visible. Les deux premiers Junkers F.13 arrivent le 4 août à Puerto Colombia et leur montage débute immédiatement malgré les protestations françaises vis à vis de cette exportation jugée contraire aux traités internationaux.

            Le 26 août, c'est un F.13 qui commence ses essais à Baranquilla. La CCNA n'a plus alors d'avion opérationnel, le Goliath tardant à arriver en raison de la difficulté d'embarquer un appareil de cette taille.


            En septembre, la montée en puissance de la SCADTA s'accélère. Le 5 septembre, un Junkers F.13 baptisé "Colombia" vole de Barranquilla à Banco. Le 10 septembre, il décolle de Barranquilla pour explorer le fleuve jusqu'à Puerto Berrio, revenant à Barranquilla le 14.

            Inquiet de ces progrés rapides, Bazin suggère aux dirigeants de la compagnie une opération de promotion. Début septembre, il reçoit l'autorisation de monter une campagne de presse fondée sur le succès commercial du Goliath en Europe et sur le raid Paris-Dakar.

            Le 25 septembre, à 18h00, le Goliath enfin arrivé début septembre et aussitôt monté (le 15 septembre selon Bazin dans un article des Ailes de janvier 1928) effectue son vol inaugural sur la ville avec pour seul passager le gérant de la compagnie, Guillermo Echavarria Misas. Le lendemain, le Farman est baptisé Barranquilla par le Père Luis Bariara avec comme marraines les demoiselles Beatrix Pumarejo, Antonia Vengoechen et Mme Carolina V. de Vives, et comme parrains MM. Urbano Pumarejo, Guillermo Echavarria et Antonio Olarte. A 18h30, il effectue son premier vol à pleine capacité à 2000 mètres d'altitude, piloté par René Bazin acccompagné de son mécanicien. Il emporte douze passagers (Mlles Sofia et Lucia Toro, Josefina Trespalacios, Mme Georgis, MM. Miguel Vives, Leonardo Farquez, Hector Parias et son fils, Md. Ginson, Luis de la Rosa, Alberto Pumarejo, Abraham Garcia).

            Le 30 septembre, poursuivant sa campagne de promotion, Bazin effectue un vol de longue durée avec un groupe de journalistes, survolant l'extrême nord de la Cordillère des Andes, la Sierra Nevada de Santa Marta, à 3500 m d'altitude; la démonstration dure au total 5h15 sur le trajet Barranquilla – Mompos – Valledupar – Santa Marta – Barranquilla.


            De juillet à septembre, les discussions sont donc intenses entre les actionnaires de la compagnie et Bazin, mais les arguments des uns et des autres ne ressortent que peu de leurs écrits. Le manque de confiance dans le F.40, accentué par la campagne active de la concurrence, est perceptible après l'arrivée des Junkers F.13 à Baranquilla. Malgré l'insistance de Bazin qui voudrait précéder la SCADTA, les administrateurs n'autorisent toujours pas le vol du Goliath de Baranquilla à Bogotá.

            Le 11 octobre, le Goliath effectue un nouveau vol avec 14 passagers. Le 21, Bazin effectue un vol d'une heure avec 15 passagers. Il prépare un vol vers Medellin et Bogotá, vol auquel participerait un représentant de la presse de Baranquilla.

            En parallèle, Bazin a reçu ordre de monter en hydravion le dernier F.40 resté en caisse. Le 26 octobre, René Bazin en fait la réception en vol ; il est baptisé Medellin. L'urgence de sa préparation est visible car, contrairement à ses prédécessseurs, il a conservé ses couleurs françaises.

  


            Bazin n'a toujours pas reçu l'autorisation de la compagnie d'ouvrir la liaison Baranquilla - Medellin - Bogotá. Le télégramme qui finit par arriver ne répond pas à son attente : il interdit tout vol de l'appareil.

            Le courrier qui suit quelques jours plus tard le télégramme est accompagné du document qui motive cette décision. Il s'agit d'un texte dactylographié, signé d'un certain Jean Labarthe (?), et intitulé "L'AVIATION FRANCAISE TUEE PAR LA SOCIETE SALMSON. 5000 AVIONS NUMEROTES 10001 A 15000 SONT INCAPABLES DE VOLS NORMAUX SANS TUER LEURS PILOTES"; Ce texte, qui se réfère aux procés de 1918 sur les bénéfices de guerre constitue une très violente attaque du motoriste Salmson, qui aurait dissimulé la mauvaise qualité de l'acier utilisé par "pour la construction des arbres de manivelle". Or, les moteurs du Goliath appartiennent justement à cette série.

La lettre d'explication qui suit le télégramme est accompagnée du document qui motive cette décision : il s'agit d'un article publié en France qui constitue une très violente attaque du motoriste Salmson, mentionnant un défaut de fabrication sur les moteurs Salmson numérotés de 10001 à 15000. Or, les moteurs du Goliath appartiennent justement à cette série.

            Le 7 novembre, profitant du passage à Baranquilla d'Aimé Martin, ambassadeur de France en Colombie, René Bazin décide de passer outre à cette interdiction et réalise un vol d'essai de 30 minutes au-dessus de Barranquilla avec l'ambassadeur, son épouse et plusieurs personnaltés dont Leòn Angel, représentant des journaux El Tiempo et El Espectador. La Compagnie réagit sévèrement, menaçant de congédier Bazin, et confirme l'interdiction définitive de vol de l'appareil.


            Finalement, sans autre alternative après l'interdiction de vol du Goliath, la compagnie décide d'organiser un voyage avec le dernier F.40 équipé en hydravion. Le 30 novembre à 06h30, le Medellin décolle de la baie de Cartagena avec Bazin aux commandes et Goupil comme passager et convoyeur du courrier, pour une liaison de 700 km visant à desservir Barranquilla, Calamar, Banco et Puerto Berrio. De Cartagena à Baranquilla, le Farman doit affronter un vent extrêmement violent. A Barranquilla, Bazin se repose pendant l'escale avant de continuer vers Calamar, où il fait une halte d'une demi-heure, puis El Banco, soit 5h30 de vol pour couvrir 385 km. A Banco, Bazin a demandé la préparation d'un plan incliné pour éviter aux fragiles flotteurs du Farman de passer la nuit dans l'eau.


            Le 1° décembre, lorsque Bazin veut décoller le Medellin à 08H00, il constate qu'un floteur a éét crevé par sur une pierre que des enfants se sont malheureusement amusé à faire rouler sur le plan incliné. Il doit télégraphier à Barranquilla pour l'envoi d'un flotteur de rechange qui n'arrive que le 5 décembre par l'un des bâteaux à aubes qui font un service d'une rapidité aléatoire sur le fleuve.

            Le 7 décembre, Bazin décolle pour Puerto Berrio par un temps pluvieux qui lui impose de suivre le cours de la Magdalena entre 300 et 500 m d'altitude. Il survole Bodega et Puerto Wilches mais ne voit pas Puerto Berrio et ne disposant pas de carte précise, ne peut se localiser avec certitude alors que l'essence baisse. Il décide de se poser près d'un village qui s'avère être San Bartolomé, à 20 km seulement de Puerto Berrio.

            Hydroplanant pour redécoller, l'équipage doit constater qu'un flotteur est encore crevé. Pour terminer son voyage, Bazin remplace le flotteur par une barque de pêche et rejoint Puerto Berrio en hydroplanant. Malheureusement, ce demi-échec se termine en catastrophe : le Medelllin amarré à Puerto Berrio est jeté contre les arbres par une tempête et complètement détruit.


            La destruction du dernier F.40 et l'indisponibilité du Goliath sonnent le glas du projet et la compagnie décide d'arrêter ses opérations. Les contrats du pilote et des mécaniciens sont suspendus à la date du 31 décembre, accompagnés d'une indemnisation et d'un billet de retour en première classe sur la CGT. En janvier 1921, Eugène Georges et Georges Goupil rentrent en France. René Bazin restera quelques mois sur place, pilotant un hydravion pour la "Caraib Oil Syndicate", compagnie américaine installant un pipeline entre Banco et Santa Marta.

  

            

            En 1921, la CCNA décide de faire piloter le Goliath de Barranquilla à Medellin. William Knox Martin est pressenti, mais se désiste, estimant ne pas avoir l'expérience du pilotage d'un tel appareil. La CCNA trouve néanmoins un pilote en la personne de l'italien Ferrucio Guicciardi. Ce dernier, apès avoir décollé le 15 juin 1921 de Barranquilla, est obligé de faire un atterrissage d'urgence à court d'essence avant d'avoir atteint sa destination, endommageant légèrement l'appareil. Trois semaines après, une fois réapprovisionné, il décolle vers Medellin où il serait arrivé le 24 juillet à midi.


            Le Goliath finira sa carrière sur place. Les locaux et installations de la CCNA seront repris par la SCADTA, promise à un brillant avenir ...



NB : Dans le film de Howard Hawks "Seuls les anges ont des ailes" (1939), le terrain d'aviation qui sert de décor aux scènes au sol se situe dans la ville portuaire de Barranca, qui fait clairement référence à Barranquilla et à la Colombie (et non au Pérou). La direction de la compagnie, assurée par un hollandais, et dite utilisant notamment des appareils métalliques Fokker, nous ramène evidemment à la SCADTA. L'immatriculation F-xxx des appareils et les vols à travers une cordillère enneigée, sont vraisemblablement inspirés par l'épopée de l'Aéropostale.

  

Tous droits réservés - Michel Barrière - crezan.aviation@gmail.com