Crezan
Ethiopie

Ethiopie
Ethiopie

Ethiopie 1929-1936

Ethiopie 29-36

1930 : Haïlé Sélassié I°, Roi des Rois


¤ Janvier


            Le 1° janvier 1930, un Fiat AS.1 acheté par l'Ethiopie arrive en caisse à Addis Abeba. Après montage, il est solennellement reçu par l'ambassadeur d'Italie, Guiliano Cora, et diverses autorités italiennes et éthiopiennes.

            Déjà prévu lors de l'embargo, l'appareil a été commandé via l'agent local de Fiat, Michel Balanos. Né en 1871, cet ingénieur d'origine grecque vit depuis 1912 en Ethiopie où il a été consul de Grèce en 1922-1923. Il a la confiance du Négus qui lui a déjà confié de nombreuses constructions et continuera les années suivantes.

            L'appareil aurait dû être accompagné par un pilote italien, mais Maillet s'y serait opposé et Balanos s'en souviendra.


            Le Fiat est alors le seul appareil susceptible d'être utilisé pour la formation de pilotes éthiopiens. C'est peut-être la raison pour laquelle Maillet facilite en mars l'arrivée du Morane Moth de Jacques et Violette de Sibour, type d'appareil connu dans ce rôle d'écolage, tout en suggérant aux voyageurs une possible cession de leur appareil si l'empereur en faisaitt la demande.


            Le 13 janvier 1930 débarque à Djibouti une mission envoyée par le quotidien Le Matin. Conduite par Joseph Kessel aidé par Henry de Monfreid, l'équipe comprend le médecin militaire Émile Peyré, méhariste et arabisant, frère de l'écrivain et le lieutenant de vaisseau arabisant Lablache-Combier. Kessel est venu effectuer un grand reportage sur les Marchés d'esclaves, titre de la série d'articles publiés dans le journal à partir de mai 1930.

            Le thème est d'actualité, l'entrée de l'Ethiopie à la SDN imposant au Négus des mesures pour abolir l'esclavage. Si certains sont convaincus de sa bonne foi, considérant que sa bienveillance et son humanité se heurtent à la persistance des coutumes locales, d'autres, à commencer par l'Italie, critiquent la lenteur, voire l'absence, de progrés dans ce domaine.


            Sans s'attarder à Djibouti, où les relations sont tendues entre Monfreid et le gouverneur Chapon-Bayssac, la mission rejoint Addis Abeba. Elle est reçue par le Négus le 20 janvier; au dîner, Kessel obtient du Négus la faveur d'être transporté en avion à Harrar.


            Le surlendemain, les Potez n°1 de Maillet, transportant Kessel et Peyré, et n°2 de Corriger transportant Lablache rejoignent en deux heures Dire Dawa, y réparant une avarie de radiateur, avant de reprendre leur vol vers Harrar. Encombré par une foule, le terrain leur apparait inadapté et mal préparé. Maillet, méfiant, cercle autour de la zone; plus confiant, Corriger se pose et brise son appareil sans dommage pour pilote et passager. Démonté sur place, le Potez est ramené à Addis Abeba pour réparation.

  

Le Potez 25 n°2 de Corriger, Harrar, janvier 1930.

Sur le terrain de Jan Meda, devant le Fiat AS.1 fraichement arrivé.

De gauche à droite :

Jacob Sarafian, X, Jean Baladé, Fernand Picaper, André Maillet, Paul Corriger.

¤ Février


            Depuis l'accident du Junkers, les capacités de transport de l'aviation éthiopienne sont limitées et Maillet obtient du Négus la commande d'un Farman 192, commande qui aurait été enregistrée par Farman en février. A la même époque, Potez reçoit la commande de trois nouveaux Potez à moteur Lorraine.


            A la mi-février, la situation politique se dégrade : poussé par le parti Viel-abyssin, le Ras Gugsa Wolie, ex-mari de l'impératrice Zaoditou et gouverneur de Begemder, lance une proclamation accusant le Négus de tenir l'impératrice prisonnière. Le Négus réagit rapidement et, le 24 février, sous la signature de l'impératrice et la sienne, fait publier la Proclamation Impériale de Yekatit déclarant Gugsa Wolie rebelle. Le Djedaz Mulugeta, Ministre de la Guerre, quitte Addis-Abeba à la tête d'une armée de 30.000 hommes et, dans les jours qui suivent, Maillet et Corriger effectuent des missions de surveillance, larguant messages lestés et proclamations sur le camp rebelle.


¤ Mars


            Le 28 février, Jacques et Violette de Sibour arrivent à Djibouti avec leur DH.60M F-AJKT c/n 1443, baptisé "Safari III". Partis de Paris le 3 février vers leur propriété du Kenya en visitant au passage la Corne de l'Afrique et le Yemen, ils envoient de Djibouti une demande d'autorisation de visite d'Addis-Abeba.


            Le 4 mars, après une première réponse négative, une lettre de Maillet leur transmet l'autorisation demandée accompagnée d'une réserve, celle de proposer la vente de leur appareil au gouvernement éthiopien, sachant que "si vous le désirez, votre avion ne conviendra pas au service du Gouvernement éthiopien et que vous pourrez retourner par le même chemin" et leur donnant rendez-vous à Dire-Dawa.


            Après quelques jours à Aden, sans possibilité de visite au Yemen, les Sibour acceptent cette proposition. A Dire Dawa, un message de Maillet leur demande d'attendre. Ils en profitent pour visiter Harrar sans leur appareil compte tenu de l'absence de terrain utilisable. A leur retour, le 12 mars, ils trouvent un message de Reffye, s'étonnant de leur départ sans autorisation de Djibouti et leur intimant de ne pas chercher à rejoindre la capitale avant le vendredi 14. Le lendemain, un télégramme de Maillet leur donne rendez-vous au lac Metahara, à 225 km de là, où Corriger et lui les attendront avec leurs Potez 25 pour couvrir les 125 km restants.

            Le 14 mars, après un vol à la limite des possibilités du Moth en altitude, Jacques de Sibour se pose à Jan Meda. L'accueil y est somptueux. La population est présente, l'ambassadeur Reffye fait les présentations.


            En principe, le roi ne peut les recevoir avant 3 jours, mais deux heures après leur arrivée, il est déjà là pour voir l'avion et l'acquérir; il les invite pour le soir-même. "Si vous acceptez, vous ferez beaucoup pour la France et vous ferez du roi votre obligé" souligne Maillet qui leur propose de participer à une démonstration de bombes artisanales devant le Négus et ses conseillers sur un terrain proche. C'est ainsi que les Sibour s'installent en place arrière du Potez 25 de Maillet et que, sur son ordre, Jacques de Sibour lâche une bombe qui file droit ... sur les voitures et le groupe des officiels qui s'éparpillent éperdument. Ils en seront quittes pour l'émotion et quelques éclats sur l'une des voitures.

            Une heure plus tard, ils sont reçus au Palais, accompagnés par Maillet et l'ambassadeur. Selon Violette de Sibour, le dîner se prolonge par un entretien avec le Négus qui aurait demandé à Sibour s'il accepterait de larguer des tracts sur les tribus dissidentes le lendemain. Jacques de Sibour aurait accepté et, selon son épouse, réalisé mais, si tel est le cas, certainement pas avec son petit Moth !!


            Avant leur départ, Jacques et Violette de Sibour acceptent à contrecœur de vendre la Moth, obtenant de pouvoir l'utiliser pour revenir à Djibouti. Espérant être dissuasive, Violette de Sibour, en aurait demandé 1200 livres, soit près du double du prix de l'avion neuf, mais la somme aurait été acceptée sans discussion. Leur départ est prévu pour le 22, mais le paiement n'arrivant pas, n'aura lieu que le lendemain.

            Le 23 mars, ayant obtenu une promesse écrite du Négus, ils décollent pour Djibouti. Jacques de Sibour effectue deux tentatives pour décoller du champ de course avec son avion à pleine charge, effleurant la cime des eucalyptus. Un fort vent de face les arrête à une heure de Djibouti pour la nuit. Le lendemain, la banque de Djibouti ayant reçu le chèque, le DH.60 est stocké, ailes repliées, sur la terrasse de l'hôtel où Maillet le prend en charge. Jacques et Violette de Sibour quittent Djibouti le 25 mars pour le Kenya.


            Pendant ce temps, le Ras Gugsa s'est mis en marche vers le sud-est avec 10.000 hommes, 10 mitrailleuses et deux canons. Deux Potez, pilotés par Maillet et Corriger, participent aux opérations. Ils surveillent l'avance des rebelles, larguent des proclamations les adjurant de se rendre; assurent la liaison entre Addis Abeba et les troupes du Négus commandées par le Ministre de la Guerre, le Dedjazmatch Mulugeta.

            Le 28 mars, Maillet et Corriger observent le franchissement de la frontière de la province et le 30 mars, rejoignent les troupes.


            Le matin du 31 mars, à 6h30, Maillet, piloté par Corriger, effectue une reconnaissance et constate que le Ras Gugsa s'est mis en marche pour se positionner en prévision d'une attaque. Ayant emporté quelques bombes, il les utilise au mieux avant de se poser et suggérer à Mulugeta d'attaquer sans attendre. Vingt minutes plus tard, les troupes gouvernementales, environ 20.000 hommes, équipés de 7 mitrailleuses et 5 canons, sont en marche. La rencontre a lieu à Debre Zebit dans la plaine d'Anchem.


            A 8h00 du matin, Maillet s'envole dans un Potez piloté par Corriger avec un chargement de bombes qu'il largue à la main sur les mitrailleuses et les concentrations de troupes des rebelles, accompagnant la manoeuvre d'encerclement menée par Mulugeta. Pendant ce vol, Maillet est lui-même touché par une balle qui brise la crosse de son revolver sans le blesser. A 10h30, le Potez atterrit, les deux aviateurs ayant la certitude d'une victoire complète.

Le DH60M de Jacques de Sibour à son arrivée à Djibouti. Racheté par le Négus, il sera finalement l'appareil de base de l'école de pilotage éthiopienne. [© Michel Barriere]

Jacques de Sibour et Maillet au milieu de la foule venue accueillir les voyageurs pour l'arrivée du Moth à Addis-Abeba le 14 mars 1930 [Coll Michel Barrière]


¤ Avril


            Le 1° avril, les Potez sont de retour à Dessye à 10h30, Corriger transportant deux blessés graves et Maillet son mécanicien et le corps du Ras Gugsa. Par téléphone, il informe Addis Abeba et demande des instructions. La provision d'essence de Dessye étant insuffisante pour les deux appareils, seul Maillet rejoint Addis Abeba où il est accueilli par le Négus tandis qu'une troupe présente les armes et que la fanfare éthiopienne dirigée par le Suisse Nicod joue une marche.

            Les deux Potez engagés sont rapidement remis en état. Le n°2 endommagé fin janvier est toujours en réparation, Picaper, seul mécanicien expérimenté, ayant probablement été trop occupé dans cette période agitée.


            Le 2 avril, l'impératrice Zaoditu décède. Le Négus Tafari Makonnen est aussitôt proclamé Roi des Rois, "negusse negest" :  la cérémonie du couronnement est fixée au 2 novembre 1930.      


            Le 13 avril, le Farman F.194 n°1 se pose à Djibouti, piloté par Henri Rabatel, directeur commercial d'Hispano-Suiza. Bien renseigné, Rabatel s'est attaché sur place pour cette affaire les services de l’ingénieur-architecte grec Michel Balanos.

            Le 27 avril, il rejoint Addis Abeba avec son appareil, obtient une audience du Négus, puis, avec l'appui de Wolde Maryam, le remplacement, sur les 3 Potez en commande, des moteurs Lorraine de 450 cv par des moteurs Hispano de 500 cv, malgré un surcoût de 48.000 francs par appareil (couvrant probablement des rétrocommisions). Il lui propose également d'acheter son Farman, mais cette proposition est refusée.


            Furieux, Maillet cherche à faire revenir le Négus sur cette commande en lui adressant un rapport virulent contre les Potez-Hispano. Cela lui vaut l'inimitié de Balanos. De plus, ce faisant, il attaque indirectement Wolde Maryam et le roi, d'autant plus, si l'on en croit Monfreid, que tous deux auraient bénéficié de ces contrats. Maillet est certes apprécié par le Négus ; mais cette maladresse, qui s'ajoute à la publicité irritante que lui fait une presse occidentale plus ou moins bien intentionnée, va être utilisée par ses adversaires renforcés par l'arrivée d'un nouvel intervenant.


            En avril, arrive le pilote civil Gaston Vedel, ancien pilote de l'Aéropostale recruté pour assurer la formation des pilotes éthiopiens. Idéaliste, aigri par un licenciement de l'Aeropostale qu'il estime injuste, il est venu pour servir le Négus et oeuvrer pour l'Ethiopie. Refusant de s'intégrer dans la communauté française qu'il juge trop occupée de ses intérêts, il critique la passivité apparente des autres pilotes. S'étant lié avec Balanos, tous deux intriguent pour discréditer Maillet auprès du Négus.

            Vedel attaque notamment l'école de pilotage chère au Négus mais qui ne progresse guère, attribuant cette lenteur aux manoeuvres de Maillet accusé de servir des intérêts qui ne sont pas ceux pour lesquels Vedel lui-même est venu.


            Le 14 avril, Maillet assure avec son Potez 25 le deuxième service aérien entre Djibouti et Addis Abeba.

En avril 1930, le F.194 F-AJID sur le terrain de Jan Meda à Addis-Abeba en compagnie de 2 Potez Lorraine, du Fiat AS-1 (voilure repliée) et du DH 60 cédé par Jacques de Sibour. [L'Aéronautique]

¤ Mai - Juin - juillet, "The Black Eagle of Harlem"


            Le 23 mai, Malaku Bayen, cousin du Négus arrive dans la capitale. Le Ras Tafari l'a envoyé se former aux indes, puis étudier la médecine aux Etats-Unis. Proche du mouvement panafricain, il est convaincu de la nécessité d'amener des experts noirs pour aider au développement de son pays et, dans cet esprit, amène un noir originaire des Antilles britanniques, Hubert Julian.

            Pompeux et beau parleur, proche du mouvement panafricain, Julian est célèbre aux Etats-Unis pour ses sauts en parachute et la réalisation en 1924 d'une très très brève "tentative" transatlantique sur un hydravion Boeing baptisé Ethiopia 1. Il est venu en Ethiopie effectuer une présentation pour les fêtes du couronnement, moyennant un salaire mensuel de 1000$, tous frais payés.


            Le 1° juin, il est reçu en audience par le Négus qui lui propose d'effectuer rapidement une première démonstration.

            Le 4 juin, un grand meeting aérien a lieu à Jan Meda. Devant le Négus et un parterre d'invités, Hubert Julian et le mécanicien arménien Jacob Sarafian sautent en parachute depuis les Potez de Maillet et Corriger. Julian atterrit au pied de la tribune officielle et c'est le succès : outre une somme substantielle, le Négus lui décerne l'Ordre de Menelik et lui offre la nationalité éthiopienne. Logé dans une grande maison, il dispose de serviteurs et d'une voiture avec chauffeur. Il est rapidement connu dans la capitale où il parade suivi par un serviteur, et vêtu en gentleman ou portant l'uniforme qu'il s'est choisi lui-même .


            En août, lors de son passage à New-York, Julian dira avoir été nommé "pilote personnel" du Négus. Il se dira aussi "chef de l'aviation éthiopienne". En fait, Julian ne pouvait montrer aucun brevet de pilote et ne pouvait guère faire illusion à un chef-pilote expérimenté. Quel qu'ait été le contenu de leurs entretiens, Julian ne pouvait qu'être interdit de vol par Maillet et cette décision explique probablement l'animosité qu'il développe à l'égard des pilotes français en général, et de Maillet en particulier.


            Le 19 juin, le sergent-chef mécanicien Thierry Maignal rejoint la mission française avec les 3 nouveaux Potez-Hispano débarqués à Djibouti. A Jan Meda, des hangars faits de troncs d'eucalyptus et de tôle ondulée, travail artisanal des charpentiers hindous, abritent désormais les appareils. On attend également l'arrivée du Farman 192 qui, recetté fin juin à Toussus, n'arrive probablement qu'en juillet à Djibouti.


            Le temps passe : la saison des pluies va commencer et les fêtes du couronnement se rapprochent. Le Négus s'inquiète de leur préparation, voulant voir voler des pilotes éthiopiens à cette occasion, ce qui le rend d'autant plus sensible aux rumeurs qui courent sur le compte de Maillet. Un soir de juin 1930, Vedel est convoqué par le Négus. De cette entrevue sans témoin, Vedel rapporte dans son autobiographie que "aux questions pertinentes et précises, il répond avec précision. Deux mois ont déjà été perdus en manoeuvres dilatoires diverses... Quand le négus lui a demandé s'il était prêt à honorer son contrat, il [a] tout raconté".

            De son côté, Julian développe ses attaques contre Maillet. Similaires à celles de Vedel, elles font supposer qu'ils s'impliquent dans les mêmes intrigues. Et, le 9 juillet, le Négus résilie le contrat d'André Maillet qui rentre en France en septembre.


            Début juillet, Julian repart aux USA, tous frais payés, avec la conviction, plus ou moins reconnue, qu'il saura susciter l'arrivée de spécialistes et d'appareils. Avant son départ, il essaie sans succès de se faire confier par le Négus des sommes importantes pour financer le recrutement d'aviateurs et l'achat d'appareils.

  

Hubert Julian et André Maillet à Addis-Abeba sur le terrain de Jan Meda en juin 1930, photo sans doute prise le 4 juin après le saut en parachute de Julian depuis le Potez 25 de Maillet.

Peinture éthiopienne illustrant la couverture de l'édition 2003 de l'ouvrage d'Anthony Mockler, "Haile Selassie's War".

Elle représente la descente d'Hubert Julian et Jacob Sarafian et les Potez 25 Lorraine de Maillet, Corriger et Vedel survolant la tribune du Négus.

¤ Août - septembre


            Lors de son entrevue avec le Négus, Gaston Vedel lui a suggéré d'éloigner l'école d'Addis-Abeba, l'environnement montagneux et le terrain de la capitale se prêtant mal à l'apprentissage du vol avec les peu puissants Fiat AS.1 et DH.60. Néanmoins, Vedel estime que, si ces appareils sont utilisés dans un environnement favorable, les deux mois qui restent avant le début des fêtes du couronnement devraient être suffisants pour breveter les meilleurs élèves éthiopiens.


            Dès le lendemain, Vedel est rattaché directement à Tadesse Machecha et chargé sous sa tutelle d'installer une école de pilotage à Djidjiga, à 500 km d'Addis-Abeba, où il pourra disposer d'un terrain nu et dégagé, à faible altitude et d'un climat sec.

            Six élèves soigneusement choisis, Vedel et le mécanicien Picaper rejoignent par le train Dire Dawa avec les avions démontés. Les élèves rejoignent Djidjiga en camion; les avions sont remontés sur place avec les ateliers du chemin de fer. Vedel les convoie en vol, décollant du lit asséché de la rivière de Dire Dawa.


            Le 5 août, l'école commence à fonctionner. Ne supportant pas les variations de température entre le jour et la nuit, la structure du Fiat se déforme rapidement : après un tour de piste risqué, Vedel décide de ne l'utiliser que pour l'instruction au sol, ne gardant que le DH.60 pour l'entrainement.

            Il se concentre sur la seule formation des deux éléves les plus prometteurs et parlant couramment français : Mishka Babitcheff, fils d'un Russe blanc, grand propriétaire agricole d'Addis Abeba, et d'une Éthiopienne, et Asfaw Ali, fils d'un premier mariage de Menen Asfaw, épouse du Négus. Tous deux passent leurs épreuves de pilotage, respectivement les 1° et 4 septembre. Leurs premiers vols solo, effectués à Djidjiga devant le gouverneur de Harrar donnent lieu à une grande fête. Ensuite ils effectuent seuls des vols plus complexes : montée à 2000 m, descentes en spirale, circuits triangulaires sur la région, entrecoupés des périodes d'arrêt nécessaires à une soigneuse révision du Moth.


            Le 25 septembre, Vedel ferme l'école et décolle avec le Moth pour Dire Dawa que les éléves et Picaper rejoignent en camion, tous embarquant ensuite sur le train pour Addis-Abeba. Début octobre, Babitcheff et Asfaw Ali s'entrainent à décoller du difficile terrain d'Addis Abeba, le Négus ayant fixé au 15 octobre l'épreuve décisive.


            Ce même mois, Hubert Julian revient des Etats-Unis sans avions, ni aviateurs. Il n'a été pris au sérieux ni par la communauté noire, ni par l'administration américaine. A son départ des Etats-Unis, il a même dû publier un communiqué pour nier avoir cherché à collecter des fonds en vue d'un achat d'appareils pour l'Ethiopie. Corriger note : "Il se targuait partout de prendre bientôt en main l'aviation éthiopienne, et probablement de me supplanter, se déclarant pilote remarquable."

L'école de Djidjiga en août 1930. De g à dr, les élèves Tesfa Mikael Hayle, Demissie Hayle, Seyoum Kebede, Asfaw Ali, Picaper, Gaston Vedel, Mishka Babitcheff.

[Coll Michel Barrière]

¤ Octobre


            Le 15 octobre, Mishka Babitcheff et Asfaw Ali effectuent chacun un brillant vol en solo devant le Négus et un grand parterre d'invités. Asfaw Ali termine son vol en lancant un bouquet de remerciement au Négus, ravi. Gaston Vedel est fait commandeur de l'Ordre éthiopien, les deux élèves en sont faits chevalier. Seule ombre au tableau pour Vedel : l'ambassadeur de France est absent, assistant à une réception à l'ambassade d'Italie.

            C'est alors qu'un événement vient gâcher la fête : bien qu'interdit de vol, Julian, soit qu'il ait été piqué au vif par une remarque du conseiller militaire américain sur ses compétences, soit qu'il veuille à tout prix montrer sa valeur au Négus, emprunte le Moth et décolle. Après une série de bonds désordonnés, il s'écrase dans les eucalyptus, brisant l'appareil.  Le Négus l'expulse immédiatement et fin octobre, Julian quitte la capitale.

            A la suite de cet accident, le meeting aérien envisagé par le Négus pour les fêtes du couronnement est prudemment annulé.


            Le 27 octobre à 10h30, la délégation française conduite par le Maréchal Franchet d'Espèrey est accueillie par le Négus à la gare d'Addis-Abeba.

            Le 30 octobre a lieu le troisième service de courrier aérien de Djibouti à Addis-Abeba.


            Le 31 octobre, un F.192 parti de Djibouti à 7h00 du matin se pose sur le champ de courses d'Addis-Abeba.

            En août, le gouvernement français a en effet décidé d'offrir un avion personnel au Négus à l'occasion de son couronnement et a logiquement retenu un Farman 192, luxueusement équipé, accompagné de rechanges suffisantes pour les deux Farman.

            Les délais étant brefs, l'appareil est convoyé en vol par un équipage constitué du Capitaine Jean Baradez, chef de mission, du Capitaine Eugène Marie, pilote et de l'adjudant-chef Yvan Demeaux, mécanicien. Marie est en fait le candidat que le gouvernement français voudrait voir remplacer Maillet à la tête de l'aviation éthiopienne.

            Parti du Bourget le 18 octobre, le F.192 rejoint le Moyen Orient, par l'Italie, la Grèce et la Turquie, avant de survoler la Palestine, puis l'Egypte et, par Atbara, Port Soudan et Massaoua, atteint le 30 octobre Djibouti où il est mis en état pour sa présentation au Négus.

  

Le Farman 192, don de la France au Négus pour son couronnement. [© Michel Barrière]

De g. à dr., Marie, Baradez et Demeaux devant le Farman 192 destiné au Négus avant leur départ du Bourget.

[C. Demeaux Lavielle]

¤ Novembre


            Pour le couronnement du Négus, les représentants officiels arrivent par le train, mais quelques autres invités arrivent en avion. La délégation de la base RAF d'Aden-Khormaksar se pose à Jan Meda avec deux Fairey IIIF, le "0" J9163 du Sq Lr Vachell, commanding officer et le "8" J9... (matricule inconnu).


            Pour la première fois, la presse internationale utilise aussi des moyens aériens pour recevoir rapidement les films et photos des cérémonies.
            Le Junkers F13, WNr 2074, G-ABDC de Personal Flying Service, est ainsi affrété par le Daily Sketch. Piloté par le (Major) Irwin N.C. Clarke et Mr Lawrence, il part de Croydon le 18 octobre et rejoint Addis-Abeba par Paris, Dijon, Marseille, Naples, Tunis, Tripoli et Le Caire.

            Au retour, Clarke, malade, devra stopper à Tunis. Les photos sont transférées aux Imperial Airways qui les ramènent à Marseille d'où elles sont télégraphiées, perdant cependant leur avance d'une journée sur celles du Daily Mirror.

            Ce dernier, associé à d'autres organes de presse dont le Daily Mail et les British Movietone News a affrété le DH 80A Puss Moth, c/n 2036, G-AAYD d'Air Taxis Ltd.

            Piloté par les capitaines Birkett et Hope, l'appareil part de Croydon pour rejoindre Addis-Abeba via Le Caire. Reparti immédiatement après les cérémonies, il accomplit le trajet de retour en 5 jours seulement.


            Le 1° novembre, à 17h00, le Maréchal Franchet d'Espérey remet solennellement au Négus sur le terrain de Jan Meda les cadeaux de la France : un canon de 75 et le Farman 192.


            Le 2 novembre, le Négus Tafari Makonnen est couronné Empereur, "Roi des Rois d'Éthiopie, Seigneur des Seigneurs, Lion conquérant de la tribu de Juda, Lumière du Monde, élu de Dieu" sous le nom d'Hailé Sélassié I° [Pouvoir de la Trinité].

A la fin de la messe du couronnement, couvrant la voie des prêtres, trois appareils éthiopiens survolent la cathédrale. Les pilotes en sont probablement Corriger et Vedel, sur Potez et/ou Farman; selon la Stampa, le pilote italien, Marazzani, se serait joint à eux avec le Breda offert par le gouvernement italien. Peu après, à la fin du discours du nouvel empereur, un appareil vient larguer des feuillets sur lesquels est imprimé le texte prononcé.


            Le 3 novembre à 10H00, le Farman 190 n°50 F-AJRV de Charles de Verneilh se présente sur le champ de course. Venu de France en 6 jours, il a décollé à l'aube de Djibouti. Son voyage a été financé par le motoriste Gnome-Rhône qui ne veut pas laisser la place à ses concurrents, Salmson, Lorraine et Hispano-Suiza. A l'exception du mécanicien Dronne prêté par Gnome-Rhône, l'équipage - Verneilh, Weiss, Trafford - est militaire et le Maréchal Franchet d'Esperey le présente sans détour comme "la concurrence ennemie de Monsieur Laurent-Eynac, Ministre de l'Air". Inquiet de la portance à l'altitude du terrain, Verneilh se pose avec une réserve de vitesse trop élevée et s'écrase en bout de piste sur un muret de pierre et des eucalyptus, brisant l'appareil sans dommage sérieux pour les occupants.


            Le 5 novembre, la colonie italienne est à la fête : après les courses de chevaux à Jan Meda, l'empereur suivi des ras Hailu, Seyoum et Kassa se rend sur l'aérodrome où l'attendent le Prince d'Udine, qui représente le Roi d'Italie, les membres de sa délégation italienne ainsi que la colonie italienne au grand complet.

            Sur le terrain a été préparé un Breda 15, don du gouvernement italien à l'Empereur. Ce dernier examine attentivement l'appareil qui comporte le blason impérial sur la dérive, puis se fait expliquer le fonctionnement du moteur, priant les mécaniciens de le faire tourner. Il se fait ensuite présenter le pilote, le comte Marazzani, avec lequel il s'entretient cordialement des performances de l'appareil.


            Sitôt l'entrevue terminée, le comte Marazzani décolle l'appareil pour une présentation acrobatique qu'il termine par une descente en spirale pour se poser sur une courte distance de 40 mètres devant la tribune improvisée pour l'Empereur. .


            Le 9 novembre en fin de journée, le Maréchal Franchet d'Espèrey quitte Addis-Abeba. L'empereur a fait la sourde oreille à sa proposition de remplacement de Maillet par Marie et a nommé Paul Corriger à la tête de l'aviation éthiopienne. Avant son départ, le Maréchal reçoit à le demande de l'empereur, Gaston Vedel, rejeté par la communauté française, critiqué par l'ambassade, mais très apprécié par les éthiopiens.

            Après l'avoir écouté, le Maréchal lui fait perdre ses illusions. Il lui aurait notamment fait alors comprendre que la France et l'Angleterre ne s'opposeront pas aux visées de Mussolini sur l'Ethiopie si celles-ci s'expriment.


            Après avoir passé quelques journées à la chasse, Charles de Verneilh et ses amis repartent par bateau de Djibouti le 10 novembre, rejoignant Paris le 24 novembre. La Lloyd rembourse rapidement à Verneilh la moitié de la valeur déclarée pour l'avion, lui laissant la propriété du moteur resté intact. Weiss lui ayant donné (verbalement) l'assurance de lui racheter le moteur, Verneilh revient immédiatement le chercher, mais n'en tirera finalement que très peu d'argent.


            Le F.190 n°50 est enregistré comme détruit le 2 décembre.

  

Le Farman F.190 F-AJRV rouge et noir de Charles de Verneilh crashé en bout de piste sur le terrain de Jan Meda. Seul le moteur sera récupéré [Jack Meaden]

Le Junkers F13 G-ABDC de Personal Flying Services

[Dan Shumaker coll.]

1929

Tous droits réservés - Michel Barrière - crezan.aviation@gmail.com

1931