Crezan
F190
Crezan
F190

F.190 n° 21 /7140

F-AJEN

Oskar Käser et Kurt Lüscher devant leur Farman au moteur caréné.

[Coll. Michel Barrière]


¤ 1928 - 1929 : Oskar Käser


            En 1928, Oskar Käser est un jeune pilote de 21 ans breveté en 1926 à l'école Alfred Comte de Zurich. Il effectue cette année-là un raid Zurich – Bombay en compagnie du lieutenant pilote Imhof de l'armée suisse sur l'Alfred Comte A.C. 4 CH-225, moteur Cirrus 75-80 cv.


            Partis de Zurich-Dübendorf le 11 septembre, les deux Suisses se dirigent sur Sofia avant de continuer lentement vers l'est, arrivant à Alep vers le 18 septembre. Ce n'est que le 16 octobre, près d'un mois après leur départ, qu'ils atteignent Bagdad, après avoir couvert les derniers 4.500 kilomètres en 4 jours de vol. Les deux pilotes y séjournent plusieurs semaines, en raison d'une avarie de moteur et d'une grave maladie de Käser. Ils ne reprennent leur vol que le 5 novembre pour atterrir à Bouchir. Leur étape suivante est interrompue par plusieurs atterrissages forcés avant d'atteindr Djask le 8 novembre. Le 30 décembre, après des étapes à Karachi et Bhavnagar, Käser et Imhof arrivent enfin à Bombay, but de leur voyage.


            C'est par mer qu'ils reviennent en Europe : le 4 février, après avoir été retenus trois jours au large par la tempête, ils débarquent leur appareil à Marseille et reprennent leur vol. Partis de Marignane à 12h20, ils survolent la vallée du Rhône, Grenoble, la vallée du Grésivaudan, Chambéry, le lac du Bourget, Genève, puis Morat. Ils se posent sur le terrain enneigé de Zurich-Dübendorf à 17 h 30 après un vol de 5 h 10 dans des conditions peu favorables.

  

¤ 1929 : Le projet transatlantique d'Oskar Käser et Kurt Lüscher


            Dès son retour, malgré son expérience limitée, Oskar Käser décide de se lancer dans un projet de grande ampleur. En mars, il propose au journaliste et voyageur suisse René Gouzy un vol Zurich – Australie. Le journaliste refuse, arguant que le projet est certes séduisant, mais a déjà été réalisé à plusieurs reprises et ne lui paraît pas économiquement viable.


            Käser trouve alors un complice et un financier en la personne de Kurt Lüscher. Âgé de 21 ans, Lüscher est diplômé de la section de construction aéronautique de l'école polytechnique de Zurich ; il vient juste de commencer à prendre des cours de pilotage. C'est sur le projet d'une traversée transatlantique que Käser et Lüscher, fascinés par Lindbergh, arrêtent leur choix.

            

            Käser commande probablement son appareil fin avril 1929 lors de l'exposition de Genève : le F.190 n°12 y est exposé à côté d'un tableau décrivant le voyage Paris – Saigon de Bailly et Reginensi. Les enseignements de ce raid, utilisés comme base de travail, confortent Käser et Lüscher dans leur projet. Armand Tschopp, mécanicien de nationalité suisse travaillant chez Gnome-Rhône à Paris, les rejoint bien que non prévu dans l'équipage pour ne pas alourdir l'appareil.


Question de numerotation : Le F.190, de numéro constructeur 7140, est entré dans le registre AIR au nom d'Oskar Käser sous la référence AIR 2-1392 avec l'immatriculation F-AJEN.

            Sa visite de réception a lieu à Billancourt en juillet 1929. L'appareil est alors enregistré sous le numéro de série 22, appareil sur lequel Coupet effectue des essais en août et octobre, dates incompatibles avec l'appareil suisse livré fin juillet à son propriétaire.

            par contre, sur son carnet de vol, Coupet le désigne comme F.190 n°21, qu'il essaie les 16 et 17 juillet avant de le présenter à Villacoublay à Veritas qui relève sa réserve de carburant au standard de 360 litres ; l'avion est équipé pour un pilote et 3 passagers, aucun équipement particulier n'est alors mentionné. Le 18 juillet, Käser et Lüscher volent sur l'appareil avec Coupet. Au cours de ce même mois de juillet, Käser effectue en outre un entrainement au PSV à l'école Farman.

            

            Le F-AJEN est convoyé en vol fin juillet de Toussus à Dübendorf. Il y est modifié et équipé en avion de raid par Alfred Comte. Éclairée par deux fenêtres carrées à l'avant, la cabine est occupée par de grands réservoirs d'essence équipés d'un vide-vite, l'ensemble devant permettre à l'avion de flotter en cas d'atterrissage forcé.

            Etant donné la rapidité de cette préparation, le système de carburant de l'appareil a dû être préparé avec Farman sur la base de celui des F.191. La rapidité de l'installation par Comte suggère que ces équipements ont dû être spécifiés, voire fournis, par Farman qui ne pouvait sans doute garantir l'obtention du CdN avec l'avion ainsi équipé.

            D'après les divers interviews et articles publiés par la presse française (Petit Journal, Figaro, Echo de Paris, Les Ailes), américaine (New York Times) et portugaise (Diario de Lisboa), la quantité d'essence emportée par l'avion est d'environ 2400 litres, dont 360 dans les réservoirs d'ailes, soit environ 2000 litres dans le fuselage, probablement dans 4 grands réservoirs (Lena Bernstein emportera 1396 litres dans 3 grands réservoirs de cabine). 7 bidons de 20 litres seront en outre chargés dans l'appareil avant l'envol.

            Dans un souci aérodynamique, le moteur Gnome-Rhône reçoit un capotage typique des productions d'Alfred Comte.

  

F.190 n° 21 / 7140

CH-245

Le F.190 n°21, CH-245 [© Michel Barrière]

¤ Août 1929 : l'échec du "Jung Schweizerland"


            Préparé pour son vol, le F.190 n°21 entièrement peint couleur aluminium reçoit l'immatriculation suisse CH-245; il est baptisé "Jung Schweizerland".

            Le lundi 5 août, Käser et Lüscher accompagnés de Tschopp, décollent de Dübendorf pour Le Bourget. Après avoir effectué une mise au point du moteur et réglé les compas, l'équipage effectue des essais de consommation et de charge. Fondant ses calculs avec 2400 litres d'essence sur les enseignements du vol de Bailly et Reginensi, Käser estime l'autonomie de l'avion à 50 heures pour une moyenne horaire de 155 km/h, ce qui devrait leur permettre le vol de Lisbonne à Halifax dont il évalue la durée à 40h. Cependant, pour les spécialistes, les deux hommes sous-estiment fortement les vents contraires qu'ils auront à affronter près des côtes américaines.


            Pour parer à un éventuel amerrissage, l'avion transporte tout un équipement de survie : un canot pneumatique, des masques avec réservoirs à oxygène, des bombes à fumée, des fusées, des cannes à pêche, du chocolat, de l'eau, un appareil à distiller l'eau et … du champagne. Les aviateurs revêtiront en outre des combinaisons caoutchoutées. Par contre, ils n'emportent pas de TSF.

  

19 août 1929 : le Jung Schweizerland décolle pour Halifax sur une piste des Lezirias sous l'oeil des campinos

[Coll Fernando Martins]


            Le 8 août à 14h20, le CH-245 décolle du Bourget vers Lisbonne malgré une météo peu favorable. Prenant sans prévenir le chemin des écoliers, Käser rend visite à sa famille en vacances, se posant à La Baule-Escoublac à 17h20. Le lendemain 9 août à 10h00, il en repart et arrive à 12h13 à Cazaux, qu'il quitte le 10 à 9h40 pour Lisbonne, se posant à 15h40 par erreur sur le terrain militaire d'Amadora, avant de rejoindre le terrain international d'Alverca.


            Les aviateurs effectuent une révision complète de l'appareil avec l'aide des mécaniciens d'Alverca. Ce terrain est cependant trop court pour un décollage à pleine charge. Le 12 août, Käser fait à trois reprises des essais réussis de décollage de la plage de Costa da Caparica. Cependant, le lendemain, le major Ribeiro da Fonseca leur indique un terrain plus propice à Juncal do Sul non loin d'Alverca, sur une vaste zone agricole constituée de marais drainés, les Lezirias,  située sur la rive gauche du Tage face à Vila Franca de Xira (aujourd'hui réserve naturelle de l'estuaire du Tage). Après avoir définitivement retenu ce terrain, les aviateurs n'attendent plus que des conditions météorologiques favorables à leur tentative. Le 18 août, ils décident le départ pour le lendemain.


            Le 19 août à 1h00 du matin, alors que Tschopp a passé la nuit à garder l'avion, Käser et Lüscher préparent leurs provisions : 6 thermos de café au lait, 15 sandwiches, des tablettes de chocolat et deux bouteilles de vieux porto. A 3h15, ils quittent l'hôtel "Avenida Palace". Leur voiture est suivie par d'autres transportant Antonio de Faria, le directeur de Radio Lisbonne, quelques admiratrices suisses et portugaises, des journalistes, des photographes et des amateurs d'aviation. Arrivés à Vila Franca, les voitures et leurs passagers passent le Tage en bac. Dans l'obscurité, plusieurs voitures s'égarent. A 6h20, l'avion est entouré d'automobiles et d'un groupe de "campinos", gardiens des élevages de taureaux, à cheval, avec leurs gilets rouges et leurs lances. Parmi les personnalités présentes, le major Luis da Cunha e Almeida, directeur du Parc de Matériel Aéronautique, Antonio de Sousa, administrateur de la Companhia das Lezirias, des journalistes, un opérateur de la Paramount, des représentants des agences Associated Press et United Press et João Santos Moreira, représentant de la société Atlantic qui fournit l'essence. Des soldats de la base gonflent les pneus tandis que Tschopp, aidé par Käser et Lüscher, entasse dans le poste de pilotage 7 bidons d'essence de 20 litres et 2 bidons d'huile.


            Luis da Cunha informe les aviateurs de la situation météorologique : beau temps jusqu'aux Acores, ensuite brouillard, principalement sur Terre Neuve. Nouvelles qui ne changent rien pour Käser qui prévoit de prendre la direction de la Nouvelle Écosse après le passage aux Açores. Les aviateurs endossent alors leurs combinaisons étanches vertes. En guise de plaisanterie, Tschopp offre à Käser un bouchon de liège pour les aider à flotter, au cas où… ils utilisent les mêmes sextant et correcteur de route que Gago Coutinho et Sacadura Cabral lors de leur vol transatlantique, dont Ribeiro da Fonseca et l'ingénieur Salgado ont appris l'utilisation à Lüscher.


            A 6h45, le Junkers "Monteiro Torres" se pose à quelques dizaines de mètres du Farman. A son bord se trouvent le lieutenant-colonel Cifka Duarte, le major Ribeiro da Fonseca, le lieutenant Cardoso et le mécanicien Oliveira venus souhaiter bon voyage aux aviateurs suisses.


            A 7h12, le moteur est mis en route. A 7h15, il est à plein régime. A 7h17, Käser, satisfait du fonctionnement du moteur, appelle Tschopp et l'embrasse. A 7h18, le Farman, n'emportant d'après le Diario de Lisboa que 2100 litres d'essence (ce qui pourrait vouloir dire que les réservoirs d'aile n'ont pas été utilisés?) et 80 litres d'huile, ce qui lui autorise 42 h de vol, commence à rouler et décolle à 7h19 après une course de 1200 m.


            Le Farman CH-245 est observé lors de son survol des Açores (Terceira) vers 18H00, ayant parcouru 1600 km environ en 10h40 de vol selon un horaire voisin de leurs prévisions. Mais il leur reste à parcourir encore pour atteindre Halifax les 3000 km les plus difficiles avec une météorologie défavorable. Les lumières de Roosevelt Field resteront allumées toute la nuit, mais la poignée de supporters parmi lesquels figure le capitaine Lewis A. Lancey, navigateur du Bellanca "Pathfinder", les attendra en vain : le CH-245 et son équipage ont disparu quelque part entre les Açores et Halifax ; on n'en retrouvera jamais trace.


Le Times conclura :"Nombre d'aviateurs disparus lors d'une tentative de traversée de l'Atlantique d'Est en Ouest : 12".

  

Les Avions Farman

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F.193 n°1 F-AJFB