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Société des Transports Aéronautiques du Sud-Ouest


            Les casinos de la côte basque sont dès 1910 à l'origine de la création du premier terrain d'aviation de Biarritz. Les hommes d'affaires basques veulent en 1919 réanimer le tourisme sur la Côte Basque grâce à l'aviation. Le projet est porté par la Chambre de commerce de Bayonne et notamment par son président, le banquier Armand Gommès (Maison Jules Gommès & Cie) ; sa réalisation est confiée à un pilote de guerre de 32 ans (né le 20/05/1887), Marcel Gindner, ingénieur chimiste de formation, nommé administrateur délégué de la nouvelle société.

            La Société des Transports Aéronautiques du Sud-Ouest est créée à Bayonne le 19 juillet 1919, avec un capital de 310.000 F, dont la moitié seulement (155.000 F ) est ouverte à la fin de l'année. Son siège social est à Paris, 24 rue Grange-Batelière. Son but premier est d'offrir des voyages commerciaux et de tourisme entre Paris, Pau, Biarritz et Saint Sébastien.

            Pour financer ses activités, la société recherche des subventions auprès des municipalités qui se retournent vers les acteurs locaux. Si les casinos français s'impliquent évidemment dans le projet, le "Gran Casino" de Saint Sébastien refuse de participer au financement. Les 30.000 pesetas demandés par la société seront néanmoins réunis en juillet par la municipalité auprès d'autres acteurs locaux.


            L'attitude du "Gran Casino" sera d'autant plus blâmée que l'hippodrome de Lasarte, qui est utilisé comme terrain d'atterrissage pendant les premiers mois de 1919, lui appartient. Alors que les Transports Aéronautiques du Sud-Ouest préparent leurs activités, un grave accident impliquant des avions français survient sur le terrain.

            Le 13 juillet, 4 Bréguet 14 appartenant à Latécoère se posent à Lasarte. Il s'agit d'avions convoyés vers le Maroc par des pilotes de Latécoère et des Grands Express Aériens (société alors en création) : Louis Delrieu, Paris, Favreau et Louis-Arthur Happe. Ce dernier, un aviateur de 23 ans, vole sur le Bréguet 14 n° 7749.

            Le lendemain, 14 juillet, deux Bréguet font des démonstrations et baptêmes de l'air, Happe emmenant dans son appareil le chef de la Guardia Municipal de Saint Sébastien. Constatant au décollage que son appareil s'élève difficilement et que le moteur répond mal, il tente de se poser, mais heurte un arbre des abords mal entretenus du terrain. Son passager parvient à se dégager et à sauter au sol avec seulement quelques contusions. Happe est encore dans l'appareil lorsque le moteur s'enflamme et que le réservoir explose. Il ne survivra pas à l'accident qui sera d'autant plus connu que la Reine d'Espagne en villégiature à proximité rendra publique l'émotion que lui causera la fin du jeune pilote.

            Suite à ces événements, "la Société des Courses de Saint Sébastien interdit, d'une façon absolue, de se servir comme terrain d'atterrissage des terrains compris dans l'enceinte de l'hippodrome de Lasarte et des terrains contigus lui appartenant."      

Les restes du Bréguet après l'accident du 14 juillet 1919.

[CC BY-NC-ND-3.0-ES 2013 / KUTXATEKA / FONDO FOTOCAR / MARTIN RICARDO]

Louis-Arthur Happe devant le Bre 14 n°7749 le 14 juillet 1919.

[CC BY-NC-ND-3.0-ES 2013 / KUTXATEKA / FONDO FOTOCAR / MARTIN RICARDO]


            Gindner acquiert d'abord des Farman F.40 provenant des surplus : un biplace de 80 cv et deux triplaces de 130 cv. Les appareils sont basés sur le terrain de la plage de la Chambre d'Amour à Biarritz qui sert désormais de terrains pour des activités essentiellement touristiques et de loisir. Ils conservent leurs couleurs de Farman militaires avec drapeau de dérive et cocardes.

            Gindner recrute également trois pilotes, ancien de l'aéronautique militaire : André Dupont, Charles de Verneilh et, comme chef-pilote, William Hostein ainsi qu'un mécanicien nommé ou prénommé Alexandre. Il semble cependant que leurs contrats, associés en premier lieu à la réception et au convoyage des F.40 de Toussus à Biarritz, aient été limités dans le temps. Gindner a probablement déjà décidé que la mise en place du service Bordeaux - Lisbonne qu'il souhaite établir se fera avec des hydravions et que les pilotes qui lui seront nécessaires viendront alors de l'Aviation Maritime.


            Le premier appareil arrive à Biarritz fin juillet 1919. Basé à Biarritz sur le terrain de la Chambre d'Amour, il effectue ses premiers vols sur Bayonne et Biarritz, larguant des centaines de prospectus présentant à la population les excursions proposées sur la Côte d'Argent et le nord de l'Espagne et les vols de tourisme autour de Bayonne et Biarritz, survolant la pinède jusqu'à la barre de l'Adour, et revenant en survolant le Rocher de la Vierge et le Golf de Biarritz. Selon un commentateur espagnol de retour d'un vol sur Bayonne, "les avions sont très confortables et très sûrs, et le voyage est aussi agréable qu'intéressant" [La Correspondencia de España, 14 août 1919].

            Quatre appareils assureront ces services : 2 F.40 triplace à moteur Renault de 130 cv, 1 F.40 biplace à moteur de 80 cv et un hydravion F.40 H. La société envisage d'acquérir ultérieurement un Goliath pour assurer une liaison régulière entre Bayonne et Saint Sébastien, en un vol de 20 minutes.

            Deux Farman sont réceptionnés début août; l'arrivée du Goliath est également prévue, mais ne se concrétise pas. Le Farman F.40H est réceptionné le 9 août avant de réaliser le 11 une liaison Biarritz - Pau.

                        

            Vers le 10 août, la ville de Saint Sébastien confirme l'implantation définitive de son terrain d'aviation, au nord ouest de l'agglomération. L'exploitation du terrain est assurée par une société créée à cette fin, dénommée "Oficina Técnica de Importación y Exportación (OTIE)". Les vols ont alors uniquement lieu à partir de Biarritz avec deux appareils, un Farman triplace et un biplace. Le succès des promenades - billet à 50 F donnant droit à une assurance personnelle de 100.000 F - est important, notamment aurès de la clientèle féminine.


            Le lundi 18 août, André Dupont est à Toussus-le-Noble avec son mécanicien Alexandre pour réceptionner le second F.40 triplace équipé d'un Renault 130 cv. Il sont rejoints par Ramón Irazusta, un "sportsman" basque renommé, président du club de ski, prévu comme passager (gratuit) pour Saint Sébastien sur invitation de Gindner. Le lundi en fin de journée, Irazusta visite le site de Toussus (en tant que sportif, il est connu des frères Farman) avant de passer la nuit à l'hotel local, l'Atlantic-Hotel.

Le terrain de Lasarte fut installé à 500 m au nord-ouest du village, sur la rive droite de la rivière Oria, dans une zone occupée rapidement par une usine Michelin. C'était un très petit terrain pratiquement entouré de collines. En 1922, le BNAe conseillait aux pilotes de survoler l'hippodrome et le village pour se poser dans l'axe S.S.E à N.N.W, correspondant par ailleurs aux vents dominants. [sur fond Google Earth]

            Le 19 août 1919 à 6h00 du matin, Dupont, son mécanicien Alexandre et son passager décollent à bord du Farman pour une première étape vers Tours. Un quart d'heure avant d'atteindre leur destination, ils rencontrent des pluies torrentielles et ne pouvant se repérer, Dupont se pose dans un champ de blé, un fermier lui indiquant que Tours est à 80 km. Il redécolle, n'avançant que lentement avec un fort vent de face, et se pose sur le terrain militaire de Tours à 11h30, ayant parcouru Paris – Tours à environ 60 km/h de moyenne. Après ravitaillement et vérification du moteur, les voyageurs repartent par un temps éclairci, survolant Châtellerault où ils retrouvent un temps plus incertain, qui se maintient jusqu'à leur arrivée à Mérignac. Ils ont effectué le trajet à une vitesse moyenne de 130 à 140 km/h. Irazusta aurait volontiers envisagé de poursuivre jusqu'à Saint Sébastien, mais devant les incertitudes météorologiques, Dupont juge plus raisonnable de s'arrêter pour la nuit.

            Le 20, à 9h45, l'avion décolle vers la Côte d'Argent. Irazusta ayant exprimé le désir de survoler la forêt landaise, Dupont monte à 1400 m pour disposer d'une visibilité suffisante en cas d'atterrissage forcé. A 11h30, l'avion se pose sans difficulté à Saint Sébastien entre le golf de Lasarte et le route de Chiquierdi sur le terrain loué par la municipalité mais non encore homologué. Il y est attendu par le fils de Ramón, Ramoncho, d'autres sportifs et la population de Lasarte. Un actif propagandiste local de l'aviation, Juan Larreta, a préparé le terrain signalé par des marques blanches. Après avoir examiné le terrain, Dupont juge qu'avec quelques légères modifications, il pourra convenir pour le Goliath dont la société envisage l'achat pour établir une liaison régulière Bayonne - Saint Sébastien sous réserve de l'existence des terrains d'atterrissage appropriés. Un peu après, le Farman redécolle vers Biarritz avec comme passagers Ramoncho Irazusta et Francisco Larrañaga.


            Le 26 août, au cours d'une réunion de la Commission des Travaux Publics à la mairie de Saint-Sébastien, les responsables municipaux décident de préparer un acte sous seing privé permettant d'acquérir les terrains nécessaires pour préparer et habiliter le terrain d'aviation de la ville à Lasarte. Le lendemain, Juan Larreta rend visite au Maire de Saint Sébastien pour obtenir l'autorisation de tracer sur le terrain de Lasarte un cercle blanc de 100 mètres de diamètre avec indication des points cardinaux.

            Le 28 août, un Farman piloté par William Hostein, chef pilote de la Société des Transports Aéronautiques du Sud-Ouest, se pose à Lasarte.

            Le 29 août, un peu avant 13h00, deux autres F.40 de la Société, venant de Biarritz, le rejoignent. A leur bord se trouvent Marcel Gindner, Charles de Verneilh, André Dupont et le mécanicien Alexandre venus pour le banquet offert en leur honneur par Ramón Irazusta. Evoluant lentement, ils larguent sur la ville pendant leur descente des prospectus détaillant les conditions et les prix des services de tourisme offerts par la société. Ces deux F.40 repartent à Biarritz à 18h00, tandis que Hostein reste sur place pour régler les détails concernant les vols de tourisme qui doivent bientôt débuter à Saint Sébastien.

Devant le Farman F.46 portant encore drapeau de dérive et cocardes d'aile, William Hostein, Alexandre, André Dupont, Charles de Verneilh (de gauche à droite).

[Famille William Hostein via Didier Lecoq]

Les hommes de la STASO le 29 août 1919 sur le terrain de Lasarte.

De g. à d. : Marcel Gindner, Charles de Verneilh, Ramón Irazusta, William Hostein, André Dupont, Alexandre.

[Famille William Hostein via Didier Lecoq]

Hostein donnant un baptême de l'air sur le Farman biplace. Un mât porte une banderole qui semble aux couleurs françaises.

[Famille William Hostein via Didier Lecoq]

Dupont donnant des baptêmes sur un triplace le 6 septembre.

[CC BY-NC-ND-3.0-ES 2013 / KUTXATEKA / FONDO FOTOCAR / MARTIN RICARDO]

Les 3 Farman des Transports Aéronautiques du Sud-Ouest le 29 août à Lasarte [La Union Ilustrada]

Bénédiction du F.40 biplace, le 6 septembre à Lasarte.

[CC BY-NC-ND-3.0-ES 2013 / KUTXATEKA / FONDO FOTOCAR / MARTIN RICARDO]

            Il semble que quelques vols de tourisme aient été réalisés dès le dimanche 31 août. Les personnalités locales et la presse sont évidemment les premiers à en bénéficier. Le 5 septembre, le Roi d'Espagne accompagné de l'Infant Fernando visite le terrain d'aviation, examinant les appareils présents de la Société.

            L'activité aérienne ne prend cependant de l'ampleur qu'après l'inauguration officielle du terrain d'aviation. Pour cette manifestation, des avions de la société viennent de Biarritz avec des drapeaux espagnols. La cérémonie officielle se déroule le 6 septembre à 16h00 sur le terrain de Lasarte.

            A l'heure dite, deux F.40 venant de Biarritz, un triplace équipé d'un Renault 130 cv, un biplace équipé d'un Renault 80 cv se posent sous les applaudissements. Toutes les dix minutes pendant deux heures d'affilée, sans faire de pause, les appareils s'envolent et se reposent, effectuant des baptêmes de l'air, le triplace emportant les personnalités, le biplace étant réservé à la presse par ordre d'ancienneté. Le premier journaliste à voler est le correspondant de "La Voz de Guipuzcoa", puis M. Jimenez directeur de "El Pueblo Vasco", suivi de M. Andrès du même journal; M. Quiroga pour "El Liberal Guipuzcoano"; M. Ormaechea pour "La Información"; M. Arambura pour "El Noticiero Vasco"; enfin, M. Nortón, reporter de "La Crónica Grafica". Suivent d'autres représentants de la presse.

            A Saint Sébastien, il est alors possible au grand public de faire une petite promenade aérienne de 12 à 15 minutes sur la ville (50 pesetas) ou, si on le désire, de se rendre à Biarritz (200 pesetas aller-retour, 250 pesetas en cas d'escale à Biarritz). A Biarritz, la promenade revient à 250 F. ( 1peseta # 2 F)

            Il est alors dit aux journalistes présents que cette société deviendra franco-espagnole et établira un service de transport de Bordeaux à Tanger, avec escales à Madrid et Séville. Des hangars seront implantés à Lasarte pour abriter les appareils (l'ouverture des offres du premier concours aura lieu le 10 octobre).

       Pendant le mois de septembre, la Société des Transports Aériens du Sud-Ouest effectue quotidiennement plusieurs voyages Biarritz – Saint Sébastien et retour sur des Farman F.40. Certains journaux évoquent même que c'est "par plusieurs centaines que l'on compte les voyageurs se rendant de Biarritz à Saint Sébastien et retour dans un délai extrêmement rapide".[Journal des Débats Politiques et Littéraires].


            En fait, la société effectue au cours du mois de septembre entre Biarritz et Saint Sébastien 37 voyages, transportant une cinquantaine de voyageurs. En comptant les vols touristiques, environ 500 passagers auraient volé, et 16.044 km ont été effectués sans problème majeur.

A Biarritz, des passagers, dont apparemment des enfants, embarquent sur un Farman F.40 triplace des Transports Aéronautiques du Sud-Ouest pour un vol de promenade. Le pilote est André Dupont.

[ La Vie Aérienne Illustrée ]


            Au total sur l'année, la société est créditée de 60 voyages effectués sur la liaison Bayonne – Saint Sébastien et 3300 km parcourus, pour transporter 30 voyageurs non payants (et aucun fret). Bien que relevant partiellement d'une activité de ligne aérienne, cette première et brève activité ne donne lieu à aucune prime d'Etat.

            Une activité limitée se serait poursuivie au mois d'octobre, puis Marcel Gindner met les opérations en sommeil pour l'hiver, soldant la plupart des contrats des pilotes et mécaniciens, peut-être parce que la décision de passer sur hydravion l'incite à rechercher désormais des pilotes de l'Aviation maritime. Charles de Verneilh, alors jeune père de famille, signe pour sa part avec la Compagnie Atlantique de Navigation Aérienne et part en Afrique. En parallèle, comme prévu dans les plans de développement de la société, Gindner commence à correspondre avec des partenaires espagnols intéressés par une participation au projet, en l'occurrence le Sindicato de Fomento (agence de développement) de Bilbao ... discussions qui donneront naissance à la Compagnie Franco-Bilbaïne de Transports Aéronautiques.

            

Tous droits réservés - Michel Barrière - crezan.aviation@gmail.com

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