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Benoit Oblin (1897-1988) et Air-Tourisme

            


Dans les années 30, beaucoup considèrent que l'aviation se développera sur le marché privé selon un modèle analogue à celui de l'automobile. Cette conception est partagée par des constructeurs comme Farman et de Renault, impliqués dans les deux secteurs, mais également par des entrepreneurs individuels qui vont vouloir étendre à l'aviation leurs activités de vente ou de transport automobile.


            Rien ne prédestine à l'aviation Benoit Oblin. Né le 3 janvier 1897 à Troisvilles, dans le Nord, il est l'ainé des deux fils d'une famille ouvrière. Son père, ouvrier tisseur, travaille à domicile, mais ses idées politiques, qu'il transmettra à son fils ainé, lui créent des difficultés avec ses clients et l'amènent à devenir salarié en usine. Malgré les faibles ressources du ménage, les résultats scolaires de son fils le convainquent de lui payer des études à l'École industrielle de Saint Quentin. Benoit Oblin en sort premier et entre dans une petite entreprise de tissage, où il se voit rapidement confier des responsabilités. Son avenir se dessine donc bien lorsque survient la guerre qui contraint la famille à un exode à Châteauroux.

Benoit Oblin [Coll. F. Ildis]


            En juin 1915, âgé de 18 ans, Benoit Oblin s'engage dans l'artillerie. Sa demande de mutation dans l'aviation refusée par son supérieur le maintiendra dans l'artillerie pour toute la durée de la guerre qu'il effectuera comme sous-officier. En fin de guerre, profitant d'une permission, il se rend à Saint-Quentin où commence la reconstruction. Son ancien patron lui propose le poste du directeur technique décédé pendant la guerre, mais lui demande en contrepartie de laisser de côté ses opinions politiques. Son refus oblige Oblin à se reconvertir. En 1919, sitôt démobilisé, il s'installe à Paris où, après différents petits boulots, il trouve un emploi de manœuvre aide-forgeron dans une équipe du soir. Dans la journée, il suit des cours de mécanique, ce qui lui permet d'entrer dans une usine de construction de machines-outils à Levallois. Passionné comme son père de politique, il adhère à un petit syndicat, l'Union Syndicale des Techniciens de l'Industrie, du Commerce et de l'Agriculture (USTICA) et s'intéresse à la montée du fascisme en Italie et en Allemagne.

            En 1928, en mobilisant ses économies et s'associant avec son beau-frère, il quitte l'entreprise pour fonder, dans une ancienne imprimerie, un garage comportant près de 300 places sur quatre niveaux avec accès par rampes, au centre de Paris (92, rue Saint Lazare). Il ne s'agit pas seulement d'un choix entrepreneurial : membre du parti radical et radical-socialiste, il veut également exercer une activité qui lui permette de consacrer du temps pour étudier les mouvements ouvriers et développer ses idées politiques et sociales. A l'été 1932, il profit de ses vacances pour effectuer un long voyage en Allemagne. En janvier 1933, après l'arrivée au pouvoir d'Hitler, il entre à la Commission de Défense Nationale du Parti, et présente un rapport pessimiste sur le potentiel industriel allemand.


Création d'Air-Tourisme


            L'activité de son garage comprend des services de transport à la demande. En 1933, le garage est fréquemment sollicité par les agences de voyage qui souhaitent des liaisons automobiles rapides pour des clients prenant des bateaux en partance. Ce type de voyage dans l'urgence présente cependant un risque pour le conducteur et les passagers que le garage ne souhaite pas assumer. C'est alors qu'Oblin envisage d'utiliser l'avion.

Pour se familiariser avec l'aviation, Oblin crée à Orly une école de pilotage, embauche un pilote, Henri Verdier, et un mécanicien, Marcel Vincent. Il acquiert deux appareils d'occasion. Le Potez 36/13, c/n 2255, immatriculé F-ALGB, est enregistré au nom d'Oblin en octobre 1933. En décembre, est également enregistré à son nom le F.192 n°15, c/n 7225, immatriculé F-ALAR. Il apprend lui-même à piloter.

            Le 16 janvier 1934 est constituée la société Air-Tourisme, SARL pour laquelle Benoit Oblin est associé à Léon Carlier. L'objet de la société inclut tout ce qui se rattache à l'aviation commerciale : écoles de pilotage, organisation de meeting, voyages aériens, location, achat et vente d'avions, etc. son capital est de 100.000 F en 200 parts de 500 francs. Oblin effectue l'essentiel de ses apports en nature sous la forme du Potez, valorisé pour 19.500 F, et du Farman, valorisé pour 64.000F; s'y ajoutent 6500 F en espèces apportés par Oblin et 10.000 F apportés par Carlier. Au total, Oblin détient 90% du capital et assure la gérance de la nouvelle société. Les deux avions sont enregistrés au nom d'Air-Tourisme en mars 1934.

            De février à avril 1934, Verdier s'entraine à Toussus sur le F.192.


La ligne Paris – Nantes - La Baule


            En 1931, la 5° Région Économique (Structure administrative créée en 1919 par le Ministre du Commerce et réunissant les chambres de commerce par région. La 5° Région comprend le Morbihan, la Loire-Inférieure, la Vendée, le Maine-et-Loire, la Mayenne, la Sarthe et l'Indre et Loire. Son chef-lieu est Nantes) met à l'étude le projet d'une ligne d'aviation touristique Paris – La Baule par Tours. Les travaux de la commission mise en place ne progressent que très lentement. En fait, ils portent moins sur la réalisation d'une ligne que sur la construction des infrastructures : terrains d'atterrissage et de secours, postes goniométriques et météorologiques, etc.

            A la fin de l'année 1933, l'attente est forte à La Baule qui prévoit d'ouvrir l'aéroport de la Côte d'Amour pour la saison balnéaire. La propriétaire du Casino de La Baule, Madame André, est tout particulièrement active, et entre en contact avec Air-Tourisme. Benoit Oblin s'intéresse à cette mise en place une ligne Paris – La Baule par Nantes. Sans que l'on sache qui est l'initiateur, c'est également le cas de Durandeau, pilote chez Caudron et neveu d'un ancien directeur des Chantiers de la Loire, propriétaires du terrain d'Escoublac. Le matériel d'Air-Tourisme étant insuffisant, Oblin affrète des Phalène auprès de Caudron.

            Les premiers vols ont lieu dans le courant du mois d'août dans le cadre des services d'Air Tourisme. Le 21 août, deux égyptiens sont pris en charge au garage d'Oblin et conduits en taxi au Bourget où les attend un Phalène. Décollant à 8h00, ils se posent à 10h50 à Escoublac où un taxi les amène à leur hôtel à La Baule.


            Le 22 août a lieu le vol inaugural. A 8h30, le Phalène 36/6804 F-AMIZ, de couleur gris argent surchargée des marquages rouges22 Les avions de la société air-Tourisme semblent n'avoir jamais porté de marque ou logo spécifique., décolle du Bourget avec à son bord, outre Oblin, Durandeau et M. Tortet, administrateur de la Fédération aéronautique de France et directeur de la Société Mutuelle des Assurances Aériennes. La cérémonie d'inauguration officielle, le 25 août, est présidée par Hélène Boucher.

            L'avion fait d'abord escale au Mans, puis à Angers avant de se poser à 11h35 sur le terrain de Nantes Château-Bougon, où ils règlent les derniers problèmes que pose une liaison quotidienne Paris – La Baule comportant des arrêts à la demande à Nantes, ou éventuellement Angers et Le Mans. Le tarif est de 275 Francs pour l'aller simple, de 400 Francs pour l'aller-retour Paris – La Baule. Pour les bagages, les passagers ont 15 kg en franchise; au-delà, le transport coûte 6 Francs par kilo avec minimum de 2 kilos. Le billet n'est que de 25 Francs plus cher que celui du chemin de fer.

            Compte tenu de cette ouverture tardive dans la saison, la ligne n'est ouverte que du 20 août au 15 septembre 1934. Le départ se fait à 8h00 du Bourget pour une arrivée à 10h25 à Nantes, à 10h50 à La Baule. Pour le retour, le départ est à 14h30, l'avion arrivant à Nantes à 14h30 et au Bourget à 17h20. Dans l'avenir, si la ligne rencontre le succès, le remplacement des Phalène par des Goéland est envisagé.

            Par ailleurs, Air Tourisme souhaite également étudier l'implantation d'une école de pilotage à Escoublac.

            Le 14 septembre, M. Deville Roques, directeur d'Air-Tourisme, vient à La Baule. Du 20 août au 15 septembre, soixante quinze passagers ont été transportés sur la ligne, ce qui parait un bilan satisfaisant. Il est donc question de travailler à son établissement définitif et à l'organisation des services nécessaires à son fonctionnement.


            Tout ne s'est cependant pas passé sans problème. Le 13 septembre, des personnalités engagées dans le rallye des vedettes Paris – La Baule (rallye automobile), ayant manqué le départ, ont pris un avion d'Air Tourisme. Le brouillard réduisant la visibilité, le Phalène est obligé d'atterrir vers midi dans un champ près de Saint-Mars-la-Jaille, à environ 5 km d'Escoublac. Vers 14h, le brouillard s'étant levé, le pilote tente de décoller. Après plusieurs tentatives infructueuses, l'avion capote. Le pilote et une passagère sont indemnes; le second passager, le danseur Harry Pilcer, est légèrement blessé.

  

Le Caudron Phalène F-AMIZ affrété (?) par Air-Tourisme [Ouest Eclair]

Oblin, Durandeau et Tortet à leur arrivée à Escoublac [Ouest Eclair]

            Le 14 septembre, M. Deville Roques, directeur d'Air-Tourisme, vient à La Baule. Du 20 août au 15 septembre, soixante quinze passagers ont été transportés sur la ligne, ce qui parait un bilan satisfaisant. Il est donc question de travailler à son établissement définitif et à l'organisation des services nécessaires à son fonctionnement. Néanmoins, la situation n'est probablement pas aussi satisfaisante. Il est probable, comme ce sera le cas ultèrieurement pour Air France, que la visite d'Air-Tourisme est liée à une demande de subvention.


            En effet, en janvier 1935, la chambre de Commerce décide de participer financièrement à l'organisation de la ligne aérienne pour la saison estivale. Cet apport n'est probablement pas suffisant, car Air-Tourisme ne reprendra pas son service cet été-là. En mars, Air-Service, filiale de la SGTA (Lignes Farman) envisage de soumettre un projet d'exploitation, mais ne donnera pas suite.

            Si Air Bleu inaugure le 5 août son service postal sur la ligne Paris – Nantes – La Baule, aucun service passager n'est assuré ni cette année là, ni l'année suivante. En juin 1938, Air France envisage l'ouverture d'une liaison estivale en 1939, sous réserve du versement par la Mairie de La Baule d'une subvention de fonctionnement de 50.000 Francs destinée à combler le déficit potentiel, subvention à laquelle le Casino a refusé de participer. Le 25 août, une grande opération de communication est organisée : un Wibault d'Air France piloté par Laulhé amène à La Baule Costa de Beauregard, administrateur de la compagnie et de Chitry chef du service de presse accompagnés d'une délégation de journalistes. Compte tenu des événements, l'opération sera sans lendemain.

  

Le Chicago Tribune


            C'est également pendant l'été 1934 qu'Oblin obtient un contrat marquant pour Air-Tourisme : le Farman est affrété par le Chicago Tribune pour réaliser un reportage en Afrique du Nord et en Méditerranée et, si l'on en croit la publicité active et régulière portée par le journal,  Oblin obtient par la même occasion un partenariat avec le journal pour développer les services de la compagnie vers la clientèle des touristes nord-américains..

            A cette occasion, l'avion reçoit une livrée spéciale, portant le nom du journal et la longue liste des étapes prévues. Le 25 octobre 1934, l'avion est baptisé par Miss Lisbeth de Morinni. Piloté par Verdier, il quitte ensuite Le Bourget, emmenant le directeur des services touristiques du Chicago Tribune à Paris, M. André Herbert et son secrétaire, René Garnier pour un voyage de 5 semaines. Ils passent successivement par Barcelone, Tanger, Rabat, Casablanca, Marrakech, Fez, Meknès, Oran. Le 1° novembre, ils sont à Alger-Maison Blanche avant de continuer vers Biskra, Constantine, Philippeville et Tunis, puis la côte italienne via Palerme, Naples, Rome, Gênes. Ils reviennent ensuite à Paris par la Côte d'Azur et la vallée du Rhône. Cette opération réussie de communication touristique vaudra la légion d'honneur à Benoit Oblin au titre du Ministère des Colonies.

            Jusqu'en 1936, le Farman est utilisé pour des voyages en Europe à la demande : Manchester, Karlsbad, Tchécoslovaquie, etc.

Baptême de l'avion du Chicago Tribune

[Le Petit Parisien]

La guerre d'Espagne


            En 1936, Benoit Oblin se présente sans succès aux élections, Il est alors Président de la Commission Aéronautique du Parti Radical.

            Lorsque la guerre civile éclate en Espagne, ses opinions et ses activités aéronautiques font qu'Oblin est rapidement impliqué. Favorable à la cause de la République espagnole, il est cependant partisan au début d'une non-intervention générale.

            Dès le début de la guerre, il est sollicité par les républicains espagnols qui souhaitent acquérir le Potez et le Farman comme appareils de liaison. Considérant que ces matériels anciens ne peuvent leur être d'aucune utilité, Oblin refuse. Le 11 août 1936, un appareil moderne, le Caudron Simoun C.635 n°13/7081 F-ANXD est enregistré au nom d'Air Tourisme. Il semble qu'il soit mis avec son équipage, Verdier et Vincent, tous deux volontaires, à la disposition des républicains pour des missions de transport .

            Pour répondre aux demandes pressantes des espagnols, Oblin entre en relation avec le Ministère de l'Air, et tout particulièrement avec Jean Moulin, directeur de cabinet de Jean-Pierre Cot. Il établit par ailleurs des relations étroites chez Air France avec Édouard Serre et Lionel de Marmier.

            Dans cette période, une commission d'achat espagnole lui confie des fonds qu'il répartit dans cinq banques pour plus de discrétion. Ses commentaires sur l'acquisition d'appareils militaires et l'implication complexe de gouvernements étrangers laissent penser qu'ils pourraient avoir participés à l'achat des LGL32 lithuaniens. En 1937, il refuse la commission attachée à ces opérations (près de 2.000.000 Frances 1937), l'abandonnant au bénéfice des Républicains espagnols.

            

            Le 10 janvier 1937, le F.192 F-ALAR venant de Toulouse est accidenté en se posant au Bourget à la nuit tombée avec 5 personnes à bord sans blessé. Avec 75% de dégâts, l'appareil est enregistré en février comme détruit. C'est probablement pour le remplacer qu'Oblin acquiert le Caudron Goéland C.445 n°2/22/7355 F-AOYY qui est enregistré au nom d'Air-Tourisme le 2 avril, .

            Dés son acquisition, Oblin envisage une liaison Paris-Tokyo avec son équipe habituelle, Verdier, Vincent et le radio Rechard. Il fait alors équiper le Goéland de réservoirs supplémentaires en cabine,mais il semble que ce projet lui crée des difficultés avec Air France qui, selon Oblin, désire faire ce raid. Ne souhaitant pas le conflit, Oblin fait muter en mai 1937 l'appareil à Air France. Lionel de Marmier le confie à l'équipage Lacaze, Pouliguen, Béchart.

ais, le ministère de l'Air s'oppose à ce raid, présenté par Air France comme un convoyage à Hanoi pour desservir la ligne d'Orient. Le projet est alors abandonné et, en juillet, l'appareil revient à Air-Tourisme. Il est alors mis à la disposition des Républicains espagnols avec son équipage.


La Guerre


            En 1938 et 1939, outre des missions occasionnelles pour la République Espagnole, le Simoun et le Goéland sont probablement utilisés pour une activité résiduelle de services à la demande ou des déplacements personnels d'Oblin.

            En 1939, les appareils sont réquisitionnés. En novembre 1940, le Goéland, muté à l'État français, est basé à Marseille. Le plénipotentiaire allemand s'oppose à son transfert en vol vers Toulouse le 16 septembre 1943; il fait alors le voyage par le train. En 1946, le Goéland est à Meknès. En 1952,  la société Air-Tourisme n'a plus d'existence que sur le papier. Les avions, réquisitionnés, ont disparu ainsi que les pièces détachées et le matériel de réparations. Les activités aéronautiques ont alors changé de nature et le besoin en capitaux est devenu trop importants pour reprendre l'activité initiale.

            Devant ce constat, l'objet social de la société est modifié et l'activité étendue à divers travaux agricoles, avec ou sans activité aérienne. La dénomination est changée en conséquence, devenant "Air-Tourisme & Motoculture". Elle n'aura plus par la suite d'activité aérienne. Structurellement déficitaire, elle est dissoute en 1963.


benoit Oblin décède à Astugues (Hautes-Pyrénées) le 7 juin 1988.

  

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