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Ethiopie
Ethiopie

Ethiopie 1929-1936

Les avions du Négus

La légende des Junkers Ju.52

Plusieurs ouvrages et des articles de presse font référence à l'utilisation en Ethiopie de Junkers 52 que l'aviation du Négus ne posséda jamais. Cette légende a cependant un fonds de vérité : dans la continuité d'un effort commercial engagé avec le Junkers W.33c, certains acteurs allemands espérèrent bien vendre quelques appareils de ce type au Négus.

          La représentation Junkers en Ethiopie (1928-1933)


            Dans les années 20, l'Allemagne s'intéresse trés tôt aux possibilités du marché gouvernemental éthiopien. La société la plus active pour la vente d'armes et de munitions en Afrique et au Moyen-Orient est la firme Steffen & Heyman. L'un de ses fondateurs, le Major Hans Steffen, établit des liens avec le gouvernement éthiopien en 1927. A cette époque, l'impératrice et son ministre de la guerre ne sont pas favorables à l'achat d'équipements modernes, et notamment d'avions. Néanmoins, Steffen établit ses réseaux. Son principal correspondant est David Hall, né le 7 mai 1877. Fils d'un allemand, Moritz Hall, et d'une éthiopienne, Hall avait fondé en 1922 une société d'import-export, Hall & Co, mais il sert par la suite comme conseiller du gouvernement. Il parle plusieurs langues, dont évidemment l'allemand. Il est entre autres choses l'agent à Addis Abeba de la Norddeutscher Lloyd, compagnie marirtime allemande desservant l'Afrique Orientale, notamment Djibouti. Il est également le représentant local de Ford.


            Hans Steffen a fait son premier voyage en Ethiopie en 1928. Début avril 1929, il revient à Addis Abeba et est nommé consul général honoraire d'Ethiopie à Berlin. C'est au plus tard pendant ce séjoyr qu'est finalisé le contrat d'achat par le gouvernement éthiopien d'un Junkers W.33c. Steffen s'absente en mai, peut-être pour visiter son client du Hedjaz, mais est de retour à la fin du mois. Début juin, il est présent lorsque l'ambassadeur d'Allemagne remet au Belaten Gueta Herrouy, Directeur des Affaires Etrangères, en présence du Négus, le diplome de membre honoraire de la Société Allemande d'Etudes Orientales. 


            Plusieurs sources mentionnent la vente de deux appareils. Un seul est avéré, en service de septembre 1929 jusqu'à sa destruction en décembre. Cet accident, sanctionné par le renvoi des deux pilotes allemands, sonne alors le glas des projets allemands.


            En février 1932, la destruction accidentelle du Farman 192 offert par le gouvernement français ouvre de nouveau la porte aux projets allemands. Le Junkers, de constructio tout métal et capable d'emporter un fret de 600 kg ou 5 passagers, avait probablement été apprécié. Par ailleurs, l'incertitude sur le contenu du contrat de 1929 peut laisser supposer que ce contrat n'avait pas été soldé et permettait d'envisager le remplacement du Farman dans des conditions avantageuses, possibilité d'autant plus intéressante que l'Ethiopie manquait de ressoucres et s'était endettée avec les fêtes du couronnement.

            A l'été 1932, arrive donc une mission Junkers dirigée par l'ingénieur pilote Ludwig Weber, chargée de remettre en état le Junkers W.33. Il n'arrive pas les mains vides. Il a dans ses bagages des propositions commerciales assorties de conditions de crédit avantageuse. Il semble qu'une offre de trimoteurs Junkers en fasse partie, sans doute à cette date des trimoteurs G.24. Il n'y sera pas donné suite, et Weber prendra rapidement ses distances avec Junkers, élaborant une proposition indépendante de création d'une industrie aéronautique éthiopienne..

          La tentation d'alliance germano-éthiopienne (1934-1936)


            En 1933 et 1934, alors que la menace italienne se renforce, la possibilité d'un rapprochement avec l'Allemagne n'échappe pas à l'Empereur qui consulte à ce sujet l'ambassadeur d'Allemagne, le Dr. Wilhelm Freiherr von Schön. L'Allemagne n'est pas fermée à cette idée, mais les avis sont partagés ; le Ministère des Affaires Etrangères cherche à ménager l'Italie et le directeur de la zone, Prüfer, ancien ambassadeur en Ethiopie, n'est guère favorable à cette idée.

            Après l'incident de Wal Wal, les événements s'accélèrent. L'Empereur remet une lettre personnelle au D' von Schön qui rentre en Allemagne, aucune position n'ayant alors été prise. Le 24 décembre, il reçoit le chargé d'affaires allemand, Willy Unverfehert, qui lui remet une lettre personnelle d'Hitler. En fin d'entretien, l'empereur lui remet une liste détaillée des matériels souhaités par l'Ethiopie, notamment des armes modernes et du matériel de guerre chimique. Dans l'hypothèse où la réponse serait favorable, l'Empereur prévoit d'envoyer un émissaire spécial - probablement David Hall - à Berlin. En réponse, Unverfehert temporise, en accord avec le Ministère des Affaires Etrangères

            Mais au début du mois de janvier 1935, Hans Steffen revient en Ethiopie. Il n'est pas seulement Consul général d'Ethiopie et représentant de Junkers, il est aussi membre du parti nazi et travaille pour son bureau de Politique extérieure. Il est proche d'Hermann Goering qui est, pour sa part, favorable à un soutien industriel à l'Ethiopie. C'est probablement avec son assentiment que Steffen arrive donc avec une offre particulièrement significative : équiper trois armées éthiopiennes d'armes lourdes pour un montant d'environ 35 millons de Reichmarks. L'aspect financier serait en partie couvert par la mise en place d'un partenariat dans les domaines commerciaux et agricoles.

            La vente d'avions modernes, dont des trimoteurs Junkers 52, est envisagée dans cettee proposition, mais Steffen a la surprise de se heurter alors à la démarche indépendante organisée par Ludwig Weber, visant à créer une industrie aéronautique nationale en Ethiopie pour produire in fine une escadrille de 20 chasseurs et 12 avions de reconnaissance. Weber se propose de renforcer une production locale, et en a convaincu l'Empereur, mais a besoin pour ce faire d'une vingtaine de  techniciens allemands.


            La présence de Steffen dans la capitale éthiopienne ne passe évidemment pas inaperçue des italiens. Le 22 mars, la Stampa signale "les allemands qui traitent avec l'Ethiopie pour la fourniture d'armes" (Tedeschi che trattano con l'Etiopia per forniture di armi) mentionnant le montage proposé par "l'ex-Major Steffen, de la société Junkers". La réaction des Italiens provoque de multiples demandes d'éclaircissements du Ministère des Affaires Etrangères allemands, qui a du mal à y voir clair. Finalement, les divers services conviennent de ne pas envoyer d'équipements vers l'Ethiopie. L'envoi de techniciens aéronautiques demandé par Weber et repris par Steffen est rapidement rejeté, compte tenu des besoins propres de l'Allemagne dans ce domaine. Les prjets de Weber ne leur semblent pas en outre poser de problèmes diplomatiques s'ils ne sont pas soutenus, Weber n'étant pas considéré comme techniquement et induistriellement capable de créer sans soutien une activité réellement gênante pour l'Allemagne. Au retour de Steffen en Allemagne, le débat se focalise sur l'envoi éventuel d'instructeurs militaires, qui n'a finalement pas lieu.


            La situation entre l'Ethiopie et l'Italie se dégradant, l'Empereur envoie en juillet 1935 David Hall à Berlin afin de négocier un soutien militaire. Hitler se saisit de l'occasion et autorise un prêt sur un fonds spécial du ministère des Affaires étrangères d'Allemagne afin d'acquérir 10 000 fusils Mausers, 10 millions de cartouches, des mitrailleuses et mitraillettes, grenades et médicaments. S'y ajoutent 36 canons Oerlikon achetés en Suisse et 30 canons antichars de 37 mm ainsi que des munitions. L'échange est tenu secret. Les armements sont livrés par Berbera et transportés par la route de Berbera à Djidjiga. Les matériels - parfois démarqués, partiront d'Allemagne, ou plus discrètement de Stettin. Contrairement à ses accords avec l'Ethiopie, la France prétextabt l'embargo ferme rapidement le port de Djibouti et le chemin de fer franco-éthiopien aux importations d'armes pour l'Ethiopie. La Grande-Bretagne par contre, bien que respectant elle-même l'embargo, accepte l'utilisation du port de Berbera qui sera largment mis à contribution à l'automne 1935.

            On peut noter que c'est dans cette période, le 20 novembre, qu'un discret communiqué éthiopien mentionne la destruction par un bombardement italien d'un convoi transportant un avion (parfois supposé a priori comme étant un Meindl Van der Nes) entre Berbera et Djidjiga, information qui n'a pu jusqu'à présent être confirmée.

            Vingt ans plus tard, Haile Selassié mentionnera que des parachutages d'armes auraient effectivement été réalisés pendant le conflit.

          Histoire et littérature


            Malgré les courtes listes des appareils de l'aviation éthiopienne présentées par les témoins (Corriger, Drouillet, Steer, etc.), la rumeur d'une présence de Junkers 52 en Ethiopie se maintient encore de nos jours. La première cause en est l'entretien d'une confusion due à la présence conjointe du Junkers W.33, avec son revêtement caractèristique de la marque, et du Fokker trimoteur : une presse non spécialisée, avide de sensationnel, résumera cette situation dans la présence de "trimoteurs" Junkers. La presse afro-américaine célèbrera pour sa part l'action de John Robinson assurant le renforcement de l'aviation éthiopienne, allant jusqu'à affirmer qu'il a pu faire obtenir la livraison de plusieurs trimoteurs, mention que l'on retrouve aujourd'hui encore dans certaines biographies du "Brown Condor".

            

            Certains ouvrages d'époque ont exploité ce thème. L'ouvrage "Aux frontières d'Ethiopie" de Jean-Toussaint Samat, publié en 1935 (editions Baudinière), au tout début du conflit, en est un exemple caractèristique. L'auteur, sur le mode du reportage fait une description - par ailleurs assez bien documentée - de la contrebande d'armes et de munitions d'origine allemande via la Somalie britannique et leur transport par caravane de Berbera à Djidjiga.

            Il ajoute à cette réalité relative la livraison de Junkers déchargés de cargos allemands et montés sur la côte d'Aden avec une complicité britannique ; ces appareils sont alors confiés des pilotes allemands arrivés par les lignes des Messageries Maritimes et débarquant à Aden. Il évalue ainsi à plus d'une dizaine d'appareils le nombre de bombardiers qui rejoignent ensuite en vol, nuit après nuit, Addis-Abeba par les airs.

Dans "Aux frontières d'Ethiopie", Jean-Toussaint Samat décrit avec une relative exactitude les livraisons des canons et munitions via Berbera mais y ajoute une livraison de bombardiers Junkers déchargés sur la côte d'Aden d'où ils sont ensuite convoyés en vol de nuit vers Addis-Abeba.

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