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Ethiopie
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Ethiopie 1929-1936

Les avions du Négus

Fokker F.VIIa "Aba Kagnew" et "Abba Dagnew"


            En 1934, le gouvernement éthiopien acquiert auprès de la société Lorraine deux Fokker F.VIIa, appareils d'occasion reconditionnés et équipés en avion sanitaire. Leur origine est incertaine : il semble s'agir de deux appareils polonais réformés par la LOT qui effectue à cette époque une remise à niveau de sa flotte. Remis en état et modifiés dans les ateliers d'Air Union, ils reçoivent des moteurs Lorraine-Dietrich de 480cv. Aménagés pour le transport de huit passagers, ils peuvent être transformés en appareils sanitaires pour le transport de 4 malades couchés. Le poste de pilotage est équipé d'une double commande et ils peuvent recevoir un équipement de TSF. Ils ont un rayon d'autonomie de 1000 km à 150 km/h.

            Ils arrivent à Djibouti, transportés par un navire allemand, peut-être le s/s Usaramo, qui les aurait chargés au Havre et dont l'arrivée à Djibouti a lieu le 21 mai 1935.


            Le 23 mai, Paul Corriger arrive d'Addis-Abeba par le chemin de fer franco-éthiopien. Il est accompagné de l'adjudant-chef mécanicien Yvan Demeaux, de M. Schlepp, monteur de la société Lorraine, tous deux récemment arrivés de France, ainsi que de deux mécaniciens éthiopiens, Kidane et Amde Work Ali. Mishka Babitcheff les accompagne ou les rejoint un peu plus tard.


            Les deux Fokker sont débarqués en caisse dans la rade de Djibouti. Un ponton-grue de 100 tonnes remorqué par une vedette est utilisé pour les amener à quai. Mises sur un chariot poussé par une équipe indigène, la caisse contenant le fuselage, puis la grande aile, sont l'une après l'autre poussées à bras d'homme à travers la ville. Passant devant la résidence du gouverneur, les convois empruntent l'Avenue du Port, puis traversent la Place Ménélik d'où ils sont dirigés vers le terrain d'atterrissage situé au sud de la ville, près des Salines. Ils y sont montés avec l'aide d'une équipe indigène grâce à un échafaudage spécifique.


            Aprés le montage des deux appareils, l'installation et la mise au point des moteurs, Corriger et Babitcheff effectuent quelques essais en vol, puis, le 12 juin, toute l'équipe embarque sur les deux appareils qui s'envolent vers l'Ethiopie. M. Demeha, secrétaire du consulat d'Ethiopie à Djibouti, les accompagne. Le temps sur le plateau n'étant pas favorable, les deux Fokker se posent deux heures plus tard à Dire-Dawa pour y attendre une amélioration de la météo.


            Le 14 juin, profitant d'une éclaircie, ils quittent Dire-Dawa à 11h15 pour Addis-Abeba et se posent à 13h20 sur l'aéroport d'Akaki.

  

Déchargée par un ponton-grue, la caisse d'un FVIIa est amenée au terrain à travers les rues de Djibouti. [Coll. Demeaux]

L'aile d'un Fokker passe devant la résidence du gouverneur.

A droite, place Ménélik, devant les locaux de la société Mohamedally, l'aile est manoeuvrée pour prendre la direction du sud, vers le terrain d'atterrissage.

Sur le terrain, ouverture de la caisse du fuselage. Sur la photo de droite, la croix désigne Demeaux [Coll. Demeaux]

Assemblage de l'aile et du fuselage avant la mise sur train d'un Fokker FVIIa sur le terrain d'atterrissage de Djibouti. [Coll. Demeaux]

            A leur arrivée, les fuselages des deux Fokker sont recouverts d'un vernis argent qu'ils garderont pendant toute leur carrière, tandis que l'aile est en contreplaqué verni.


            Les deux Fokker F.VIIa reçoivent comme noms de baptême "Abba Kagnew" et "Abba Dagnew". Il s'agit en fait des "noms de selle" (noms de leurs chevaux) portés respectivement par l'empereur Ménélik et le Ras Makonnen lors de la bataille d'Adwa. Nous ignorons si les marquages initiaux : nom de baptême et Lion de Juda, furent peints dès leur  montage à Djibouti, lors de leur passage à Dire-Dawa ou à leur arrivée à Addis-Abeba. Aucun de ces appareils ne porte alors les couleurs éthiopiennes.

Un Fokker FVIIa éthiopien en vol, ici le "Abba Dagnew", à l'été 1935. Nous ignorons si les noms de baptême et le Lion de Juda furent peints avant leur arrivée à Addis-Abeba.


          Le Fokker F.VIIa "Abba Dagnew"


            Nous n'avons pas de trace de l'utilisation des Fokker F.VIIa pendant les mois de juillet et août. Il est possible que, comme les Potez et le Junkers, ils aient été utilisés pour des transports de personnel et de fret, mais nous n'en avons trouvé aucune trace. Le fait que l'Empereur utilisera comme appareil personnel le Fokker portant le nom de selle de son père lors de la bataille d'Adwa, "Abba Dagnew", ne saurait être un hasard.


            Le 21 octobre, l'Empereur prend l'avion pour la première fois depuis le début du conflit, pour se diriger "vers le front nord". Il est probable qu'il n'a pas atteint Dessie, et pour éviter toute rencontre malencontreuse. Dans les jours qui précèdent, après avoir défilé devant l'Empereur le 17, "l'Armée du Centre", sous le commandement du Ras Muluguetta est partie vers le front nord par la "Route Impériale", Il a été suivi par la Garde Impériale qui va prendre ses quartiers à Dessye où, comme il en a prévenu les journalistes lors d'un grand dîner le 18 au soir, l'Empereur prévoit d'installer prochainement son quartier général.


            Le Fokker qui emporte l'Empereur ce jour-là est le "Abba Dagnew". Il est piloté à cette occasion par John C. Robinson. Après avoir été accompagné à l'appareil par Mishka Babitcheff, l'Empereur s'installe dans le poste de pilotage, à la place avant droite qui, du fait de l'absence de vitre, permet d'être vu de l'extérieur. Il satisfera lors du vol sa curiosité sur cet appareil, questionnant longuement son pilote.

            Après une longue course de décollage (400m), Robinson survole la capitale, puis prend le cap vers Dessye. Il survole alors les troupes qui montent vers le front érythréen et qui l'acclament à son passage. Il cercle également plusieurs fois au-dessus de la garde impériale avant de revenir vers la capitale.           

Les Fokker F.VIIa "Abba Dagnew" (en haut) et "Abba Kagnew" (en bas) dans la livrée qu'ils porteront de juin à octobre 1935 [© Michel Barrière]

Photo donnée comme prise le 19 novembre 1935 au petit matin sur le terrain d'Akaki, lors du départ de l'Empereur pour une tournée dans l'Ogaden. il s'agit plus probablement du vol du 21 octobre [Coll. Michel Barrière]

          Le Fokker F.VIIa "Abba Kagnew" de la Croix Rouge    


            Vers le 10 novembre, la mission de la Croix Rouge internationale, Sydney Brown et Marcel Junod, et les chefs de la mission de la Croix rouge Suèdoise, les docteurs Fryde Hylander et Eric Smith, arrivent à Addis-Abeba. Personnels et matériels suèdois n'arrivent que vers le 20 novembre. Leur pilote, le comte Carl-Gustav von Rosen, et son petit Heinkel HD.21 ne les rejoignent qu'en décembre.

            Cependant, dès la mi-novembre, l'Empereur met le Fokker F.VIIa sanitaire "Abba Kagnew" à la disposition de la Croix Rouge.

            Le 18 décembre, Von Rosen, arrivé depuis peu, prend l'appareil en main en place pilote sous le contrôle de Michka Babitcheff. Il effectue ce jour-là 7 atterrissages et décollages des terrains d'Addis-Abeba. 


            Le 30 décembre, les Italiens bombardent un hôpital de la Croix rouge suédoise sur la rive de la rivière Ganele Doria, à 30 km au nord-ouest de Dolo, près de la frontière somalienne. Le Fokker F.VIIa "Abba Kagnew", piloté par von Rosen est ce jour-là à Dessye d'où son départ pour la capitale est retardé par les pluies. Le 3 janvier, le Fokker "Abba Kagnew" [NB : certaines sources évoquent le trimoteur, mais toutes les photos montrent ce FVIIa] piloté par Von Rosen quitte Addis-Abeba, accompagné par un "appareil militaire léger" (probablement un Potez 25) piloté par Babitcheff. Le Fokker ne porte que les marques de la Croix Rouge et son nom de baptême et les cocardes éthiopiennes ont été supprimées. Les deux appareils se posent à Yirga Alem pour débarquer des médicaments, Babitcheff en repartant pour chercher un terrain utilisable par le Fokker. Von Rosen décolle le lendemain avec le consul de Suède Knut Hanner et le délégué de la Croix Rouge internationale Marcel Junod. Il ramène immédiatement à Addis-Abeba le docteur Fryde Hylander, chef de la mision, légèrement blessé; son assistant Gunnar Lundstrom décédera peu après. Une semaine plus tard, Von Rosen, accompagné  de Kurt Hanner, décolle de nouveau sur le Fokker pour observer la retraite des ambulances suédoises avec Hanner à  son bord. Devant le feu ouvert sur l'avion par les troupes italiennes, von Rosen dépose ses passagers et continue seul.


            Le 9 février, les Caproni Ca 133 de la 7a Squadriglia 44° Grupo BT bombardent Dessye; alors qu'ils commencent à s'éloigner, ils reviennent bombarder l'aérodrome, ayant aperçu sur le terrain deux avions, un Potez 25 et le Fokker de la Croix-Rouge à proximité du palais royal. Les appareils ont reçu des éclats, mais ne montrent pas de dégâts significatifs. Cette attaque jointe aux bombardements répétés des camps de la Croix Rouge rendent clair alors le fait que les Italiens ne respectent pas les marques de l'organisation, sous le prétexte que les Ethiopiens les utiliseraient pour protégéer leurs troupes et leurs installations.


  

Après son affectation à la Croix Rouge, le Fokker F.VIIa "Abba Kagnew" porte les marques de la Croix Rouge et les cocardes éthiopiennes [© Michel Barrière]

En janvier 1936, le Fokker F.VIIa "Abba Kagnew" utilisé par la Croix Rouge Internationale lors de son passage à Yrga Alem. Les cocardes éthiopiennes ont été supprimées [© Michel Barrière]

  

          Mars 1936 : la fin des Fokker F.VIIa

            

            L'empereur et son état-major se rapprochent du front nord et s'installent à Korem, avant de s'installer le 8 mars dans une grotte à flanc de montagne, dominant la plaine près du lac Ashangui. Les appareils éthiopiens, notamment les Potez 25, sont toujours utilisés pour assurer des liaisons qui se situent désormais dans la zone d'action régulière des appareils italiens. Ceux-ci, connaissant la présence de l'empereur, visitent la zone généralement le matin, faisant également un passage en début  d'après-midi. Convaincus que les camps de la Croix-Rouge servent d'abri aux troupes éthiopiennes, ils ne manquent pas d'interpréter tout mouvement dans ce sens, ce qui se termine inéluctablement par un bombardement des camps visibles.


            Le 4 mars, les Caproni bombardent ainsi le grand camp de la Croix Rouge britannique installé dans la plaine de Korem, ainsi que le campement de journalistes voisins. Après s'être dissimulés dans un vallon montagneux en bordure de la plaine, les hommes de la Croix Rouge obtiennent l'autorisation de l'empereur pour s'installer dans une grotte voisine de la sienne, près du Lac Ashangui.


            Le 16 mars, le Fokker F.VIIa Abba Kagnew quitte Addis-Abeba piloté par von Rosen avec à son bord Junod et un mécanicien éthiopien. Après un ravitaillement à Dessye, il repart en fin d'après-midi pour éviter une mauvaise rencontre et se pose dans la plaine de Korem à proximité d'un Potez 25 gouvernemental, piloté par Asfaw Ali, arrivé une demi-heure plus tôt. [D'après le Dr Lambie, cet "appareil de l'Empereur" aurait été un autre Fokker ]. Le départ, d'abord envisagé le lendemain matin de bonne heure, est finalement reporté au 18 pour permettre à Junod de visiter les installations de la Croix Rouge dans les grottes voisines.


            Le 17 avant le lever du soleil, les deux appareils sont camouflés avec des branchages. Une heure après, alors que Junod et von Rosen reviennent vers les grottes qui les abritent, ils constatent leur erreur : les branchages encore verts font clairement apparaître la forme des avions sur le fond jauni du terrain d'aviation désertique. Ils décident de revenir mais il est trop tard. Les appareils ont été de bonne heure représ et photographiés par un appareil italien et 3 Ca.133 arrivent rapidement pour les bombarder. L'avion gouvernemental éthiopien est aussitôt détruit par un coup direct.

            Malgré les croix rouges ornant ses ailes et parfaitement visibles, l'Abba Dagnew est également bombardé mais lorsque Junod et von Rosen y parviennent, l'avion est encore pratiquement intact malgré trois passages des bombardiers. Von Rosen tente inutilement d'enlever les branchages pour rendre les croix rouges plus visibles, mais les Italiens ne s'en soucient guère. Une seconde vague de 5 Ca.111, puis une troisième à 11h00 laissent l'appareil toujours utilisable, hormis les réservoirs percés par le mitraillage à basse altitude d'un Ro.37. Le Fokker échappe encore au bombardement d'une quatrième vague de 3 Ca.133 vers 13h00. Mais, pendant que Junod tente d'envoyer un message par radio pour sauver l'appareil, une cinquième vague composée de Ro.37 mitraille l'appareil que les traceuses parviennent finalement à enflammer. Von Rosen sera affecté sans conséquences graves par le gaz moutarde que les Italiens ont par ailleurs abondamment dispersé sur la zone.


            Les communiqués Italiens mentionnent d'abord la destruction de deux Potez, feignant d'ignorer la Croix Rouge pourtant identifiable sur les photographies aériennes conservées dans les archives.


            Durant ses 4 mois au service de la Croix Rouge Ethiopienne dans les mains de von Rosen, le FVIIa Abba Kagnew aura réalisé 55 missions et couvert 12.500 km en 83 heures de vol. Il aura transporté 81 malades ou blessés et 3005 kg de matériel médical et médicaments.


            Début mai, les films d'actualité exposant les dépouilles des armées éthiopiennes montrent les restes de deux Fokker sur le terrain de Korem. L'un d'entre eux, à la structure déformée et au moteur renversé correspondrait aux photos du Fokker de la Croix Rouge prises immédiatement après sa destruction. L'arrière plan identique de certaines photos montre que les restes des deux appareils sont apparemment proches l'un de l'autre.

            Une lettre d'un officier italien daté du 3 mai 1936 citée sur un forum italien [Forum dell'AICPM] confirme la présence des épaves de 2 Fokker en avril, ne mentionnant par contre aucune épave de Potez 25 : "Depuis que je suis à Korem - il y a déjà dix jours - j'ai fait une seule promenade sur le terrain d'aviation pour voir les restes de deux avions abyssins - deux Fokker - abattus et récolter quelques souvenirs." [Da quando sto a Quoram - e sono gia dieci giorni, ho fatto una sola passeggiatta fino al campo d'aviazione a vedere i resti di due aeroplani abissini - due Fokker - abattuti e a raccogliere alcuni cimeli.]

            Par contre, aucune archive ne mentionne la présence des restes d'un Potez .

  

Un ambulancier britannique contemple les débris d'un Fokker peu après sa destruction par le bombardement. On voit les restes des branchages utilisés pour son camouflage [Source : Macfie, An Ethiopian Diary ; Coll. Michel Barrière]

Un askari devant les débris du Fokker, probablement en avril 1936, après la bataille de Maychew. D'après l'arrière plan, l'orientation de l'épave est différente de celle de l'Abba Kagnew visible sur la photo suivante]

Début mars1936, le FVIIa "Abba Kagnew" réparé suite au bombardement de Dessye : flanc gauche partiellement repeint et fenêtres remplacée par un panneau de contreplaqué; seuls les emblèmes de la Croix Rouge subsistent, du moins du côté gauche.

[© Michel Barrière]

Avril 1936 : les troupes italiennes en marche passent devant les restes du F.VIIa Abba Kagnew consumé après son mitraillage sur le terrain de Korem. [Coll. Michel Barrière]

          Le Fokker F.VIIa PH-EHE de la Croix Rouge

            

            Le 18 mars, lendemain de la destruction du Fokker F.VIIa "Abba Kagnew" de la Croix Rouge, Van Rosen et Junod quittent le quartier général du Négus dans les grottes de Korem, accompagnant l'équipe de la Croix Rouge britannique. Pour éviter la menace des avions italiens, le départ a lieu à 17h30. Des mules leur permettent de rejoindre vers 19h00 les deux voitures et les 6 camions de l'ambulance britannique, y retrouvant le reste de leur équipe et le docteur hollandais van Schelven,  blessé. Tout le convoi prend vers minuit la route de Dessye. Ils atteignent Kobbo vers 6h30 et s'y dssimulent pour la journée. Vers 17h00, ils reprennent la route, mais sune panne les arrête à 1h00 du matin. Ils ne repartent que vers 10h00 du matin, atteignant Dessye le 20 mars vers 17h00.

            Pendant deux jours, Junod tente d'obtenir un avion pour le ramener ainsi que le blessé, van Schelven, à Addis-Abeba. Le 23 vers 19h00, alors que les britanniques repartent en voiture vers Addis-Abeba, une ambulance hollandaise emmène sur le terrain d'aviation Junod, Van Schelden et Van Rosen qu'un avion doit prendre à l'aube du 24 mars pour les ramener vers la capitale.


            Etant alors dans l'impossibilité de trouver sur place un autre appareil sanitaire, Van Rosen rentre en Europe dans le courant du mois d'avril. Les détails de son retour ne nous sont pas connus, mais il est à Stockholm en mai, pour évaluer les possibilités de revenir avec un appareil pour évacuer les ambulanciers et missionnaires restés bloqués en Ehiopie.

            Courant mai, deux Fokker F.VIIa sont en attente dans les hangars de Schiphol. Ils ont été acquis auprès de KLM grâce à une anglaise, Lady Gladstone, et mis par la SDN à la disposition de la Croix Rouge pour l'Ethiopie. Des pilotes australiens, le Flight-Lieutenant Edgar B. Waddy et  le Major Shields ont été retenus pour les piloter, mais le cours des événements apporte quelques changements. Il semble que l'envoi d'un seul avion soit décidé avec comme équipage Von Rosen et le capitaine anglais Marius Brophil, ancien chef de l'ambulance britannique en Ethiopie.

            Fin mai, Von Rosen se rend à Londres pour discuter son projet avec la Croix Rouge britannique et obtenir des facilités pour rejoindre Le Caire, puis atteindre l'Ethiopie en passant par le Soudan. De ce fait, le 3 juin, Von Rosen et Brophil font partie des sympathisants qui accueillent Hailé Sélassié à son arrivée à Londres et ils peuvent s'entretenir avec luià l'occasion de la réception donnée en son honneur à l'ambassade éthiopienne de Londres. Von Rosen rentre ensuite en Suède où, le 9 juin, il est passager du Fokker F.XXII SE-ABA "Lappland" lorsque celui-ci s'écrase à Malmö, faisant un mort.          


            Le 11 juin, Von Rosen et Brophil décollent de Schiphol avec le Fokker F.VIIa peint au blanc de chaux, portant une grande croix rouge et immatriculé PH-EHE. D'Amsterdam, ils rejoignent via l'Egypte, Malakal au Soudan avant de se diriger vers Goré, capitale de l'ouest éthiopien où le gouvernement éthiopien provisoire s'est installé au départ de l'Empereur. Voyage hasardeux, qu'aucun appareil n'a encore réalisé. La navigation est difficile car on est en pleine saison des pluies.

            Naviguant au compas et supposant arriver au-dessus de Goré, le brouillard et les nuages ne laissent apercevoir aux pilotes que quelques rochers. L'avion tourne près de sept heures dans la pluie à proximité des falaises sans discerner un terrain possible. Alors qu'ils commencent à désespérer, Brophil aperçoit le toit de tôle d'un toucoule, ce qui leur permet de descendre lentement à la recherche d'un terrain. Ils se posent finalement sur une bande de terre de 120 mètres de long, flanquée d'un abîme de quelques centaines de mètres de profondeur, Brophil tirant vers l'arrière de la cabine les dix lourds bidons d'essence pour alourdir la queue de l'appareil et aider au freinage.


            L'accueil par les éthiopiens est particulièrement joyeux, des bouteilles de champagne apparaissant mystérieusement. Des courriers sont alors envoyés alentour pour demander des nouvelles des membres manquants de l'ambulance suédoise, mais ils ne ramènent aucune information et von Rosen revient à Malakal.

            Dans les semaines qui suivent, Von Rosen et Brophil refont cinq fois ce vol dangereux de Malakal à Gore, toujours avec le même résultat. Ils apercoivent quelquefois des avions de chasse italiens. Après le cinquième vol, les Italiens envoient un message à l'Ambassade de Suède au Caire, prévenant que si von Rosen se pose de nouveau à Goré, l'aviation italienne viendra bombarder la ville. Ayant appris que les membres manquants de l'ambulance suédoise ont réussi à atteindre sans encombre le Kenya, l'équipage décide de rentrer en Europe.

            Le retour est pénible. Les deux pilotes souffrent de dysenterie, suite d'une intoxication alimentaire à Goré; puis une crise de paludisme oblige Von Rosen à être hospitalisé au Caire. C'est avec gratitude que, fatigués, les deux hommes accueillent l'offre d'un officier de marine britannique qui les aide à ramener l'avion à Amsterdam.


            Le 21 août, le Fokker PH-EHE est de retour à Schiphol.

  

Le Fokker F.VIIa racheté à la KLM pour la Croix Rouge. Utilisé par von Rosen à l'été 1936, il est entièrement peint en blanc. Revenu en août aux Pays-Bas, il sera utilisé sous la même livrée au profit de l'Espagne républicaine et finira incendié alors qu'il est mis sous séquestre dans le sud de la France en juillet 1937.

[© Michel Barrière]

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